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LE PRÉSENT.

patrie de don Juan et de deux grands peintres, Velasquez et Murillo. Bref, son voyage d’amour devenait un voyage d’agrément. La réflexion lui vint ensuite peu à peu : on finit d’ordinaire par où l’on aurait dû commencer. Il s’interrogea et se trouva fort ridicule de suivre la piste d’une petite fille qui voulait l’amour sans l’amant, et qui lui sembl-ait coquette comme Célimène. Il regarda dans son cœur et découvrit que son amour s’était dispersé feuille à feuille dans ses pérégrinations ; puis il n’aima plus, puis il oublia même qu’il avait aimé ; puis les Andalouses, avec leurs tresses noires, leurs yeux mahométans et leur teint ambré, lui parurent belles ; et, dès lors, il songea à se consoler d’une douleur qu’il n’avait déjà plus : de nouvelles lubies amoureuses frétillèrent dans son imagination.

En se promenant, un soir, dans une rue de Séville, il aperçoit une svelte et élégante forme de femme remuant dans l’ombre, à un balcon. Il s’arrête, met au bout de ses doigts des baisers qui s’envolent vers la belle Espagnole ; — car elle devait être Espagnole et belle. Il se risqua. Le lendemain, à la même heure, même apparition. Nouveaux baisers ! Un œillet tombe ; par hasard ? Je ne crois pas à ces hasards-là. Le soir d’après, un mouchoir brodé remplaça l’œillet, et au mouchoir succéda une vieille femme qui remit à Albert un billet parfumé d’iris. Un rendez-vous ! Le souvenir de Marietta était bien effacé. Une duègne — c’est indispensable — le vient chercher. Il monte, une porte s’ouvre ; une femme s’avance vers lui au milieu de l’obscurité ; il lui baise tendrement la main, pour entrer en propos, et veut lui faire un compliment.

— Albert ! dit une voix étonnée.

— Marietta ! s’écrie à son tour Albert.

Et il s’enfuit plus vite qu’il n’était venu, et La Fontaine vous dirait qu’il court encore.

Henri Cantel.