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LE PRÉSENT.

— Quand part-elle ?

— Demain.

— Peste ! sitôt !

— Oui, demain, demain.

— Il ne te reste plus qu’une chose à faire, c’est de l’oublier.

— L’oublier ! s’écria Albert avec exaltation ; l’oublier !

— Ou de courir sur ses talons.

— C’est cela. Je la poursuivrai jusqu’en Espagne.

— Jusqu’au bout du monde, n’est-ce pas ?

— Après-demain je mets ordre à mes affaires.

— Ce sera pour la première fois de ta vie. Fais ton testament : tu peux mourir en route.

— Je ne plaisante pas ; je pars et je la retrouverai.

Le lendemain, nous allâmes de compagnie rue d’Antin. Marietta était partie la veille pour ne plus revenir, partie sans regret, partie sans laisser un souvenir à son amant ; pas une ileur ! pas un cheveu ! pas une seule petite lettrei Le pauvre Albert n’osa, pour ne point se trahir, demander la raison d’une fuite si inopinée, et, comme le Spartiate, il subit sans se plaindre la morsure de sa douleur. Mme de Marsec, qui n’était pas le modèle des tantes, me regardait en souriant du coin de l’œil, tandis que moi, en face du chagrin de l’un et de la joie de l’autre, hésitant entre l’amour et l’amitié, je me demandais si je devais sourire avec elle ou m’attrister avec lui.

Albert tenait à la vie ; mais, semblable à tous les amants trompés, et croyant qu’il pourrait mourir de douleur, il voulut partir, quoi que je fisse pour le retenir. Je n’essayai point, du reste, de le consoler : souffrir, c’est aimer encore ; ou plutôt la souffrance est le crépuscule d’un amour qui s’éteint. Quand la source des larmes est tarie, le souvenir, ce regret adouci par le temps, s’éveille dans l’âme moins attristée et moins ingrate, et l’on s’étonne d’avoir osé croire au bonheur et à l’éternité de l’amour. Un jour, en me promenant dans la campagne, jn vis un saule sur le bord d’un ruisseau. Voilà, me dis-je, l’image du souvenir. Au printemps, quand les oiseaux bâtissent leurs nids dans tous les arbres, seul, le saule n’abrite aucune couvée ; il n’a point de fleurs, point de fruits ; sa verdure pâle couvre les tombeaux : c’est l’arbre du silence. Qui donc n’a pas au-dessus de son cœur un souvenir de femme, pareil à un saule-pleureur ? Il indique une tombe : ci-gît un amour.