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LE PRÉSENT.

jouer entre la tante et mes deux amoureux le rôle de muraille comme un certain personnage de Shakspeare dans le Songe d’une nuit d’été. Je m’évertuai pour avoir son oreille : je l’entretenais des caquets du jour, des romans en vogue, ou d’une actrice ou d’un chanteur ; je causais mode à tort et à travers, et je caressais son griffon noir qui ressemblait à un manchon. Ce dernier trait me valut les bonnes grâces de madame de Marsec : « Monsieur Edgard, me dit-elle, vous devez aimer les enfants. » Si j’avais voulu répondre une sottise, j’aurais riposté de la sorte : « Oui, madame, quand ils ont votre âge. » Mais j’eus l’esprit de me taire. J’étais jeune, elle était belle ; l’amour s’en mêla, il vint s’asseoir entre nous, nous mit la main dans la main, boîte vivante qui contenait un billet tendre. Il fut lu, il eut des frères cadets, puis des cousins : on me répondit. Comme on pense, la dame s’indigna d’abord de ma hardiesse, et ce fut pour moi une occasion toute trouvée d’écrire de nouveau. En amour, le premier pas seul est difficile, et c’est aussi chose peu aisée que de faire agréer une première lettre. Si une femme vous répond, quoi qu’elle dise, elle est à vous, elle vous appartiendra demain ou dans huit jours ; c’est une question de temps, de patience, de hasard. En pareil cas, le silence seul est à redouter, car on ne peut attaquer un ennemi qui se dérobe ; autant vaudrait s’agenouiller devant une statue de Minerve ou de Junon et lui dire jusqu’à en perdre la voix : Madame, je vous aime.

Revenons à Marietta. Elle allait à sa pension vers neuf heures et rentrait chez sa tante pour dîner. Albert obtint à grand’peine de la mener de temps en temps à la pension le matin ou de la reconduire le soir. Il l’attendait au coin d’une rue. Personne n’en sut rien.

Elle fit deux fois l’école buissonnière. C’était beaucoup pour une coquette ! Le ciel était bleu, le soleil dorait la campagne verdissante, le printemps ouvrait ses mains pleines de fleurs ; elle consentit à une promenade hors de Paris. Bras dessus, bras dessous, ils allèrent à travers champs. Mariette se surveillait, et, comme on dit, elle était sous les armes ; je ne parle pas de sa toilette ; belle, en avait-elle besoin ? Une robe de mousseline, un chapeau de paille d’Italie, deux pieds fins finement chaussés, un ruban de velours noir sur un cou blanc et rose, un visage printanier et deux lèvres souriantes, c’était là de quoi contenter Albert qui frissonnait d’aise en si chère compagnie. Le bras de la jeune fille n’était guère lourd sur le sien, et il la priait de s’appuyer autant