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LE PRÉSENT.

mouvement rouvrit les yeux ; il les porta d’abord sur son vieux serviteur avec une expression d’étonnement, puis sur la jeune fille ; il s’y peignit alors comme une sorte d’effroi religieux, mêlé de vénération et d’amour ; il joignit les mains, tenta de se lever, retomba de faiblesse au pied de l’arbre et dit sans le moindre accent, avec un son de voix d’une douceur inexprimable : — Ô mon bon ange, pardon, je suis bien malade.

Il s’évanouit. Le vieillard alors s’empressa autour de lui, s’arrachant les cheveux, prononçant dans une langue barbare des mots entrecoupés, frappant ses mains l’une contre l’autre et en proie au plus violent désespoir. La charmante figure de Marguerite se colora d’une imperceptible rougeur ; elle prit une poignée de neige et en frotta les tempes du blessé. Le Cosaque, la voyant ainsi occupée, vint se placer auprès d’elle, et au mouvement de ses lèvres, il paraissait prier d’une façon fervente. Enfin le blessé sembla revivre et rouvrit les yeux pour jeter à Marguerite le même regard amoureux et craintif que la première fois.

— Mon bon ange ! dit-il encore tout bas en regardant de côté et d’autre comme un enfant honteux.

Marguerite sourit et lui dit : — Je ne suis point un ange, je suis une femme qui voudrait pouvoir vous sauver.

— Me sauver, oh 1 merci, c’est impossible, je le sens bien, dit le jeune homme en portant la main sur sa poitrine, et en même temps il se baissa et effleura du bout des lèvres les doigts de Marguerite.

Elle ne s’en effaroucha point ; c’était la reconnaissance qui donnait ce baiser, c’était la pitié qui le recevait.

— Impossible, reprit-elle en s’efforçant de sourire ; ce que femme veut, Dieu le veut. Chassez-moi ces tristes idées. Pouvez-vous marcher un peu ?

— Je ne crois pas.

— Essayez, en vous appuyant sur votre ami et sur moi. D’ailleurs, nous n’irons pas bien loin et vous serez mieux qu’ici en plein air et sur la neige.

Elle fit un signe au vieillard, ils prirent l’officier chacun par un