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LE PRÉSENT.

Nous sommes au 31 mars.

Ce fut un pâle et triste soleil qui se leva dans le ciel ce jour-là. Les morts glorieux, dont les âmes envolées de tous nos grands champs de bataille se promènent avec celles des guerriers d’Ossian sur des nuages de poudre, à côté des tonnerres, arrêtèrent leur voyage éternel pour contempler un douloureux spectacle ; cent mille baïonnettes étrangères allaient faire leur entrée dans Paris. Ils étaient partis plus nombreux des rives du Volga ou de la Vistule, et plus d’un était resté sur les routes qui conduisent en France ; mais alors, qui d’entre eux y pensait ? Qui donnait un souvenir aux morts ? Tout était orgueil et joie dans leur camp ; pour quelle fête n’endossaient-ils pas l’uniforme ?

En tête marchèrent les souverains, Alexandre et le roi de Prusse. Dans l’escorte du premier, Georges, montant un magnifique cheval noir, n’appelait sur lui, à son passage, qu’un regard ; Marguerite, dont le balcon donnait sur les boulevards, lui avait promis de le regarder passer.

Après les souverains, venaient les sujets, hommes et canons de bronze. Ils étaient tous là, ban et arrière-ban de l’Europe conjurée contre nous, Russes, Autrichiens, Prussiens, Saxons, Bavarois, uniformes verts, blancs, bleus, rouges ; or, argent et azur ; tout ce qui du Rhin à Archangel portait casque ou schako, aigrette ou panache, lance ou cuirasse. Formidable amas d’hommes et de chevaux, marchant d’un pas réglé, au son de deux mille tambours ; immense rendez-vous de toute force et de toute jeunesse au grand carrefour de la civilisation ! Toute cette masse se mouvait lentement et de concert au milieu d’une atmosphère d’harmonies guerrières, et les hommes souriaient, graves ; les chevaux hennissaient avec orgueil ; comme des chiens qui suivent le maître, les canons venaient ensuite en sautant sur leurs affûts, et le bruit rauque qui sortait de leur bouche luisante semblait le grondement du lion qui rugit d’une faim mal apaisée.

Tous les hommes portaient sur leur tête une branche de bois vert ; ils avaient, pour cet ornement, dépouillé les environs de Paris. C’était le chêne d’Arminius qu’ils conviaient à leur triomphe. L’immense bête se mit en mouvement en jetant des flammes par ses baïonnettes, et en ondulant sous ces rameaux verts comme au milieu des arbres d’une forêt, et bientôt la tête du cortége, après avoir traversé les Champs-Élysées, entra sur les boulevards. Alors le cuivre fit retentir par-deseus