Page:Le Présent, année 1, tome 1, numéros 1 à 11, juillet à septembre 1857.djvu/199

Cette page n’a pas encore été corrigée
191
CHRONIQUE.

die manuscrits. M. Barbara n’en est pas moins resté un homme sérieux, et les plaisanteries de Schaunard ne l’ont pas tué, J’en veut pour preuve le volume des Histoires émouvantes, qui m’ont véritablement fort ému, et dont quelques-unes ont coup sûr une grande valeur. Plusieurs ont paru dans la Revue de Paris ; il a même publié là, sous forme de nouvelle, l’Assassinat du pont Rouge, en 1854, si je ne me trompe. Nous comprenons maintenant qu’il ne l’ait pas fait entrer dans son livre. Il voulait servir le drame tout frais et tout vierge au public avide des boulevards. 11 est sombre ce drame, il fait frémir et trembler ! On dirait presque de l’Edgar Poë.

On vend depuis huit jours le mobilier de mademoiselle Rachel. Je voudrais pouvoir louer pendant quinze jours seulement la maison dans laquelle sont les meubles de la tragédienne, et la spéculation serait bonne, j’en suis certain. Je ferais payer un franc par personne comme à l’Exposition, et j’aurais du monde ! On viendrait là un peu, comme on allait aux Tuileries dans le cabinet du roi. Des deux couronnes, laquelle est la plus belle ? quelle est celle qui pèse le moins ? Je ne sais ! Ici, elle écrase le front d’un vieillard ; là, c’est l’auréole d’une mourante, qui pour conquérir son empire et mériter sa gloire, a joué sa vie chaque soir, souffrant toutes les souffrances de Phèdre, toutes les colères d’Athalie, brisée au sein des émotions factices, par une émotion vraie, et comme la Malibran, victime de son génie !

On aurait voulu voir derrière le rideau et derrière les coulisses, tâcher de surprendre, à travers ces meubles muets, les secrets de la maison, les habitudes, les goûts, les passions et les mœurs, et savoir la femme après avoir vu l’actrice. Mais non, l’on procédera à la vente comme partout ! Que deviendront les tuniques et les cothurnes, les poignards et les diadèmes ! Tout cela qui hier était vivant, frémissait sur les épaules, le front pâle ou dans la main émue de la tragédienne, tout cela est triste, muet, sans éclat ni couleur, et les brocanteurs normands regardent si l’étoffe est bonne, si l’on pourra, dans la robe d’Hermione, tailler un chàle pour une dame du demi-monde ! Peut-être n’en est-il rien, et mademoiselle Rachel, quoique juive, n’a-t-elle pas poussé si loin le désir de réaliser ! Elle aura voulu garder ses costumes de reine, et dans sa retraite peut-être obscure, au moins le manteau de sa gloire ! À coup sûr elle n’a pas vendu la sébile où tombaient les vieux sous, quand elle chantait dans les rues, ni la guitare qu’elle portait l’hiver sous la fenêtre des riches. Elle devrait les faire peindre sur les panneaux de sa voiture. Ces armes, d’un nouveau genre, rappelleraient ses douleurs et son courage.

Il est aussi un courage dont persbnne ne parle, qui ne gagne pas de médailles, et s’exerce dans le silence, entre quatre murs, sans témoins. Je connais un peintre devenu fameux, qui, pendant les premières années de sa vie