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CHRONIQUE.

que son livre allait être saisi ! Je m’en accuse publiquement, j’ai cru à une petite tactique. Il ne me reste plus qu’à le plaindre sincèrement, le poëte.


Hier c’était Denise, un livre d’amour, un amour de livre, le cœur de M. Aurélien Scholl, édition diamant ; il a fallu le cacher, l’enlever au public, ne plus le vendre ; on le louera au Divan, et M. Scholl se trouvera tout consolé. Mais, cette fois, c’est autre chose. Treize chefs d’accusations sont énumérés, dit la chronique, à peu près autant que jadis à propos de M. Luchet, l’homme le plus immoral de ce temps-là, à ce qu’il paraît ! Sans doute les Fleurs du mal exhalent un parfum étrange ; mais ce n’est qu’un parfum, non pas un poison, et d’ailleurs sont-ils bien à craindre, ces vers savamment écrits, infernalement composés, que peuvent goûter seuls, comme des fruits rares, les lettrés purs, c’est impurs que je voulais dire, des raffinés qu’il est bien difficile de corrompre, je le crains fort ! Madame Bovary nous a été rendue, toujours frémissante d’amour et de douleur. M. Bapdelaire sera plus heureux. On nous rendra son livre sans le juger, et nous le relirons, pour mieux l’aimer.


M. le procureur impérial est accablé de besogne, ce mois-ci. Les hommes de lettres lui donnent un mal ! Encore M. Mirecourt ! plaignant, M. Mires qui veut avoir la vie du biographe et ne veut pas lui laisser la sienne. « Je le tuerai par l’argent, » a-t-il dit un soir, et c’est au domicile de l’ennemi un déluge d’assignations. Le financier triomphera-t-il de l’homme de lettres ? Je l’ignore, mais le duel m’intéresse ; pourvu que M. de Mirecourt ne fasse pas comme l’autre jour ! il avait juré, sur la vie de tous ceux qu’il a crayonnés, de ne payer jamais que de sa personne. Les flots d’or de M. Mirès devaient se briser contre son courage. Les gardes de commerce se présentent chez lui. Le débiteur était caché comme une relique au fond d’un cabinet. « Il n’y est pas, » on n’insiste point. À peine jettent-ils un coup d’œil dans l’antichambre. Deux heures plus tard, ils reviennent. « Il n’y est pas. » Nos gaillards pénètrent plus avant. À travers une porte se dessine un profil. Notre homme s’est trahi. Et le fameux serment ! le trahira-t-il aussi ? mon Dieu, oui ! Son cœur se serre, le secrétaire s’ouvre, et tout est payé, amende, dommages-intérêts et les frais !


Voilà l’histoire, je la donne comme vraie. En voici une autre aussi vraie, mais plus belle. Il y a quelques années, la Comédie-Française perdit une de ses ac trices les plus célèbres et lus plus aimées. La défunte laissait un enfant sans fortune, jeune encore, élève distingué du collège Bourbon. Les camarades de la mère se chargèrent de l’éducation du fils. On leur disputa cet honneur. « Il sera la gloire de ma maison. C’est mon créancier, je le garde, » cria le maître de la pension où était l’enfant. Il fallut céder. La Comédie-Française, pour se venger, offrit à M. Bellaguet ses entrées pour la vie. Histoire simple et touchante, que les