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LE SALON DE 1857.

Je ne saurais en dire autant de celui de M. Armand Dumaresq. Il avait choisi pour sujet la Prise de la grande redoute à la bataille de la Moscowa. Vous vous attendez sans doute à voir un déluge de cavaliers, une inondation de sabres et de cuirasses apparaissant au sommet de la redoute, au milieu des colonnes détruites des Russes. Point, vous n’avez que le portrait d’un cuirassier, occupant seul tout le premier plan de la bataille. Je rends justice à l’élan, à la fougue avec laquelle le cavalier est enlevé ; il est beau de mouvement et d’expression, bien campé sur son cheval qui bondit sous lui, bien ramassé sur lui-mème pour frapper, mais je ne saurais voir dans un homme seul toute une armée. Caulincourt est trop effacé ; on l’entrevoit dans le fond qui s’affaisse mourant sur son cheval ; ce n’est pas assez, il fallait l’amener sur le devant du tableau. D’ailleurs, ceci prouve que M. Dumaresq, s’il acquiert l’art de faire agir des masses, de lancer des escadrons et des bataillons, pourra bien faire la guerre. Mais il faut mieux remplir son cadre et mieux répondre aux promesses de son titre.

À la bonne heure, M. Besson ! Il ne craint pas les foules. Il est vrai qu’il ne les mène point à la guerre, lui, il les mène à la danse. Il a exposé l’Enfance de Grétry. Le père de Grétry tenait une auberge, et avec un petit violon sur lequel il s’essayait, l’enfant faisait sauter les couples amoureux. Ce qu’apprenant son oncle le curé, il vint le sermonner et le supplier, au nom du salut de son âme, de renoncer à ces occupations mondaines. Le père Grétry devait faire de bonnes affaires, si j’en juge par le nombre de gens qui se pressent chez lui. Ce sont de galants mousquetaires à la moustache en croc, à l’œil vainqueur ; ce sont des gardesfrançaises, la poitrine en avant, le jarret tendu ; ce sont des grisettes vêtues de laine, vêtues de soie, la prunelle pétillante, le sein bondissant, la jupe bouffant sur les hanches. Tout ce monde-là boit, danse, chante et rit. Au milieu, pourtant, voici le bon curé, et Grétry tout honteux de son talent d’enfer. Peut-être le tableau eût-il gagné à être un peu plus dégagé, un peu moins encombré de personnages, mais il est prestement fait, bien rempli de vives couleurs et de figures spirituelles ; il fait honneur à M. Besson.

Léon Daléas.
(La suite au prochain numéro.)