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LE PRÉSENT.

semble en avoir peur et se réfugier contre elle dans le monde vague et indécis qui circule avec les nuages au front du firmament. Il faut lui souhaiter plus de fermeté et de vigueur. Après cette observation générale, je reconnaîtrai qu’il y a dans Le Calvaire une vraie douleur, du pathétique, de la noblesse, mais cela ne suffit pas encore à couvrir le grave défaut que j’ai signalé. Je ne dirai rien du Rêve, effet de brume, ni des Juifs chassés d’Espagne ; j’attendrai que M. Jobbé-Duval ait guéri son pinceau qui a des vapeurs comme une grande dame.

Il y a au contraire de la gaieté, du mouvement, de la vie et du soleil dans le tableau unique qu’a exposé M. Marquis : Saint Louis accompagné de sa mère, Blanche de Castille, se rend à Notre-Dame. La coutume était que la corporation des oiseleurs de Paris donnât, sur le Pont-au-Change, la liberté a un grand nombre d’oiseaux, en l’honneur du nouveau règne. Donc des essaims d’oiseaux s’éparpillent en battant des ailes aux quatre coins du ciel ; l’air en est plein ; les cages s’ouvrent et laissent partir de nouvelles volées qui se succèdent rapidement dans le bleu, et les oiseleurs poussent des vivat, ainsi que leurs femmes et filles, attifées de leurs plus beaux atours pour la cérémonie. Au second plan, saint Louis s’avance avec sa mère, monté sur un beau cheval blanc. Ce cortége royal, ce peuple d’oiseleurs et ce peuple d’oiseaux forment un très-agréable spectacle. C’est de la bonne peinture de genre historique.

M. Pils, lui, a exposé de la bonne peinture d’histoire, Le débarquement de l’armée française en Crimée. C’est un des meilleurs tableaux qu’ait inspirés l’expédition. Au premier plan, le maréchal Saint-Arnaud assis donne des ordres. Il est entouré de ses principaux chefs ; le général de Martimprey, son chef d’état-major, note ses instructions ; le général Bosquet réfléchit un peu en arrière, et le général Canrobert, appuyé sur son épée, fume un cigare. Le duc de Cambridge et le prince Napoléon sont aux côtés du maréchal. Voilà pour le premier groupe. Cn peu en avant, deux chasseurs d’Afrique allument leur pipe, et toute une compagnie déjà débarquée se repose en attendant le commandementde marche. Parmi les soldats, les uns fument, les autres causent, les autres regardent le spectacle qu’ils ont sous les yeux. Voilà le second groupe. De l’autre côté du tableau, une batterie d’artillerie va prendre ses positions. Troisième groupe. Enfin dans le lointain on aperçoit tout le mouvement du débarquement ; les colonnes se forment ; de longues files d’hommes se serrent et s’avancent, et les barques par d’incessants voyages couvrent de minute en minute la plage de nouvelles troupes. Toute cette scène est nette, bien distribuée, sans confusion ; l’œil se promène partout satisfait ; rien ne le heurte, ne l’embarrasse, c’est merveilleux d’ordre et de bonne économie. Cependant la mer s’étend et fume au loin sous les rayons d’un chaud soleil ; couverte de vaisseaux, elle emplit tout l’horizon de son immensité azurée, et au-dessus s’étend un ciel d’une limpidité admirable. Bien composé, bien peint, bien observé, ce tableau mérite.toute louange et toute approbation.