Page:Le Présent, année 1, tome 1, numéros 1 à 11, juillet à septembre 1857.djvu/173

Cette page n’a pas encore été corrigée
165
LE SALON DE 1857.

sur-la pierre pour la laver, et ils lurent ces paroles castillanes : « Ici est enfermée l’âme du licencié Pierre Garcias. » Le plus jeune des écoliers qui était vif et étourdi n’eut pas achevé de lire cette inscription, qu’il dit en riant de toute sa force : « Rien n’est plus plaisant ; ici est enfermée l’âme : une âme enfermée ! Je voudrais savoir quel original a pu faire une si ridicule épitaphe. » En achevant ces mots, il se leva pour s’en aller. Son compagnon plus judicieux dit en lui-mème : Il y a là-dessous quelque mystère ; je vais demeurer pour l’éclaircir. M. Hillemacher a bien rendu le contraste indiqué ici dans ces quelques lignes du grand romancier. L’écolier vif et étourdi a une tournure d’homme désopilé qui est fort amusante. L’idée d’enfermer une âme lui semble si bizarre qu’il se tient les côtes de rire. Son compagnon, au contraire, est accroupi sur la pierre ; il a posé près de lui un paquet de livres et il médite. Le rieur est vêtu d’habits bariolés, il a un haut-de-chausses à bandes alternativement jaunes et noires comme un damier ; son camarade sérieux est tout de noir habillé. Le détail est joli, outre qu’il aide au pittoresque. Mais ce dont je loue le plus volontiers M. Hillemacher, c’est de son paysage. Rien, en effet, ne lui était indiqué par Lesage, et il a tout trouvé par lui-mème. C’est au détour d’un bois. La pierre est à demi cachée sous le gazon ; de grands arbres versent sur elle une ombre épaisse, et de hautes herbes l’entourent. Il y a dans ces lherbes, dans les feuilles des arbres un recueillement profond, une paix secrète qui charment. Évidemment c’est le milieu du jour. L’air est transparent, tiède et tranquille. Quelques rayons de soleil glissent en cascade brillante aux branches des arbres et viennent éclairer la mousse qui en couvre le pied ; c’est plein d’harmonie, de tranquillité et de fraîcheur. Ou je me trompe, ou M. Hillemacher ferait un paysagiste distingué. La petite garde-malade est encore un tableau réussi. Un vieillard (est étendu dans un fauteuil, blème, ridé, amaigri, et près de lui une petite fille fait la lecture. Une grande simplicité, une juste mesure dans les détails, une discrétion louable de couleurs sont des qualités moyennes qu’il ne faut pas mépriser et que j’ai plaisir à rencontrer ici. J’aime beaucoup moins Une jeune mère. Une jeune femme entr’ouvre la porte d’une chambre où un petit polisson de sept à huit ans vient de prendre un bain. Il est sorti de l’eau et il gambade dans un fauteuil, nu comme la main. Ce n’est ni gracieux, ni joli. Le petit drôle est très-laid et sa mère n’est pas belle. Ces ébats d’ailleurs n’ont rien d’agréable. Tirez, tirez, comme dit Molière.

M. Jobbé-Duval est le peintre des ombres. Son pinceau craint d’appuyer sur la toile ; il y glisse et y laisse des formes vaporeuses, qui peuvent être des hommes, qui peuvent être des femmes, mais qui aussi bien pourraient être tout autre chose. C’est fàcheux pour M. Jobbé-Duval ; c’est le soleil qui fait les grands peintres ; et qui n’aime pas ce père du jour, de la lumière et de la couleur, ne sera jamais qu’un artiste inférieur. Il ne faut pas craindre d’accuser les contours, de faire saillir, les reliefs, d’accuser la vie. La vie, M. Jobbé-Duval