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LE SALON DE 1857.

Régillensis, dit Tite-Live, en son livre XIIIe, la vestale Minuccia fut accusée auprès des pontifes, sur la déposition d’une esclave. Condamnée, elle fut enterrée près de la porte Colline, à droite du chemin pavé, dans le Champ du crime ; son amant expira sous les verges, dans le comice. Cette épouvantable histoire est le sujet du tableau de M. Baudry. Le premier plan est bon. Une fosse immense dont on aperçoit les deux bords béants est creusée ; le bout d’une échelle s’appuie à l’un de ces bords, et la main d’un homme qu’on ne voit pas est appuyée à l’un des échelons. C’est un des bourreaux qui attend la victime. On la transporte à bras, tant elle est faible et dénuée. Elle est presque arrivée déjà à cette terrible ouverture où vont s’engloutir sa jeunesse et sa vie. L’effroi a dénoué ses cheveux, décomposé son visage, éteint son regard, crispé ses mains ; elle semble une statue vivante de la peur. Tout ceci est bien, mais à partir de là, une telle confusion, un tel pèle-mèle encombrent la toile qu’il faut se résigner à ne rien comprendre. Un arbre est planté au fond, et tout autour de cet arbre, et comme de ses branches, on dirait que pendent des groupes d’hommes et de femmes étagés, superposés, criant, hurlant, pleurant. Cela manque de sobriété. M. Baudry croit-il qu’il eut fait moins d’effet, si, au lieu de ces groupes qui égarent l’oeil sans raison, il avait dans une plaine nue, entourée seulement de deux ou trois prètres, fait descendre sa vestale dans la fosse qui l’attend ? Je ne sais, mais l’abandon, le silence, la presque solitude m’eussent paru plus tragiques que tout ce tumulte. — Je louerai dans le Saint Jean-Baptiste la profondeur du regard, l’intelligence, la douceur et déjà presque l’inspiration. Le prophète en effet, grâce au talent du peintre, peut se deviner dans cet enfant maigre, sous le large front duquel paraît s’agiter tout un monde de pensées. Mais je me demande où M. Baudry a pris cette couleur et ces ombres ? C’est jaune, c’est terreux, c’est empâté ; je regrette, je l’avoue, le pinceau léger de la Léda et de la Fortune. - Un bel avenir s’ouvre à M. Baudry, espérons qu’il ne fera pas mentir les augures.

Je regretterais de ne point dire en passant combien m’ont plu les Saltimbanques de M. Dubasty. Sur les tréteauxd’un théâtre en plein vent, affublée d’oripeaux d’argent et d’une jupe courte à paillettes, une jeune fille de seize à dix-sept ans réfléchit. À quoi ? sans doute à l’humiliation de son métier, à la profanation de sa beauté, à la pureté et au calme de ses premières années, à la misère et au mépris de sa vieillesse, si elle ne quitte ces planches déshonorées, car son œil est plein de larmes et son sein se soulève avec force comme oppressé par un sanglot. C’est une des plus touchantes et des plus belles figures de l’Exposition, tant il y a encore de pureté dans cette dégradation, de noblesse dans cet abaissement, de dignité dans cette misère. La tête est ravissante sur un corps parfait, que demander de plus ? — M. Dubasty a exposé un Armurier de la ville de Liége, défendant sa fille contre les atteintes de plusieurs soldats bourguignons. J’ai été étonné d’y trouver tant de recherche de l’effet, tant de violence dans les mouvements,