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LE PRÉSENT.

enfant. Tout le monde sait l’histoire qu’a si bien racontée La Fontaine. Un enfant s’endormit sur la margelle d’un puits :


La Fortune passa, l’éveilla doucement
Lui disant : Mon mignon, je vous sauve la vie ;
Soyez une autre fois plus sage, je vous prie.


D’où il faut conclure que l’enfance est un âge béni et aimé des dieux ; qu’ils ont pour cet âge encore pur des tendresses et des prédilections infinies, et que passé cet heureux âge, il faut s’en fier davantage à sa prudence qu’aux bienfaits du hasard. Il est difficile de rien voir de plus charmant que la figure qu’a prêtée M. Baudry à la Fortune. C’est bien là cette déesse à qui Jupiter même est soumis, qui, légèrement, fait glisser sa roue sur le monde transporté, et vers qui s’en vont toutes les prières des champs et des villes, des vieux et des jeunes, du fort et du faible. Un rayon se joue dans sa chevelure nouée négligemment derrière sa tête, et un sourire ineffable de douceur voltige sur ses lèvres. Elle prend entre ses mains la tête de l’enfant, caresse d’un doigt rose ses joues potelées et le regarde longuement. Lui cependant, le petit babouin, comme dit ailleurs La Fontaine, il ouvre de grands yeux pour voir cette belle dame nue qui le réveille, et il semble avoir peine à rappeler ses esprits encore tout ensommeillés. À son air d’insouciance, on devine qu’aussitôt que la roue de sa belle protectrice va avoir fait quelques tours, il va se recoucher et reprendre son rêve interrompu, mais il n’aura vieilli que d’une heure et son sommeil sera encore sans danger. Au besoin l’aile d’un oiseau ou la chute d’une feuille l’éveillerait encore et le sauverait de l’abîme.

De ces régions mythologiques, M. Baudry est passé avec un égal bonheur dans le salon de M. Beulé et il lui a fait un admirable portrait. Peut-être est-ce le plus beau de l’Exposition. M. Beulé est un jeune savant qui a marqué sa place à l’Académie des Inscriptions, en retrouvant, sous les yeux des Athéniens, le grand escalier du Parthénon, que les Athéniens avaient perdu de vue depuis une quinzaine de siècles. Près de lui, M. Baudry, en vertu de cette découverte, a placé une petite statue de Minerve, et il a peint cette tête calme et ces yeux vifs quoiqu’habitués à la lampe des veilles et à la poussière des vieux manuscrits avec tant de relief, de précision, de netteté, avec une science du dessin et de la ligne si grande, qu’on ne peut qu’applaudir et féliciter l’artiste et le possesseur du portrait.

De compte fait, voici déjà trois toiles de grande valeur qui prouvent bien ce que je disais plus haut, que M. Baudry a beaucoup de talent. J’ai dit qu’il avait du bonheur, et les louanges à peu près égales, l’admiration qu’il a rencontrées pour son Saint Jean-Baptiste et son Supplice d’une vestale, me semblent un effet de ce bonheur-là. Avec des qualités incontestables, ces deux tableaux ne me semblent pas mériter toute l’estime qu’on a faite d’eux. — Sous la dictature de Claudius