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L’ANNÉE DES COSAQUES.

sur le champ de bataille ; ils allaient donc enjambant les cadavres, les débris d’affûts renversés ; Baptiste regardait à droite et à gauche, et de temps en temps un profond soupir sortait de sa poitrine oppressée.

— Allons, dit-il en secouant la tète tristement, je le vengerai. Il t’aimait bien, Marguerite, et nous parlions souvent de toi au bivouac.

— Tu penses donc un peu à moi, quand tu es loin, bien loin avec tes camarades ?

— Si je pense à toi, ma petite Marguerite ; qu’ai-je de mieux à faire, je te prie ? penser à toi, à mon père, au village ! J’y ai été si heureux. Te rappelles-tu nos parties au Prieuré et l’école buissonnière pour aller dénicher des bouvreuils et des merles ?

— Et toi, te souviens-tu de cette petite linotte que tu m’as donnée et que tu avais prise dans la haie du père Martin ?

— Comme tu étais contente, comme tu sautais joyeusement en frappant dans tes mains !

Baptiste heurta du pied un tambour qui rendit un son triste et lugubre.

— Prends garde de tomber, frère, dit Marguerite.

— N’aie pas peur. J’avais douze ans alors et toi dix. Il y a longtemps de cela.

Et ils continuèrent leur route d’un ; pas rapide. Plus d’une fois ils glissèrent sur quelque chose d’humide d’où le pied semblait ne pouvoir s’arracher. C’était du sang.

— Allons, ne va pas plus loin, petite sœur, dit Baptiste en s’arrêtant. Donne-moi mon fusil et va retrouver notre père là-bas.

— Non, dit Marguerite, je vais aller jusqu’à la croix du Mazet, et là nous nous dirons adieu.

Tous deux alors se retournèrent vivement, une sorte de gémissement prolongé s’élevait d’un bouquet de bois formé à peu de distance par quatre ou cinq arbres centenaires.

— C’est quelque blessé qui se plaint, dit Marguerite, allons le secourir.

Comme elle achevait ces mots, un oiseau de nuit de la plus grande