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LE PRÉSENT.

était fini pour elle, bonheur et repos, pourquoi ne pas finir aussi en même temps ses angoisses et ses douleurs ? Elle se leva pour chercher une place un peu profonde et propice à son fatal dessein, peut-être aussi pour parcourir encore une fois ces rives tant aimées.

Soudain, entre deux saules qui laissaient tremper leur chevelure dans l’humidité du flot, elle se trouva en présence d’un berceau de joncs que son frère lui avait construit autrefois pour mettre sa tête à l’abri du soleil quand elle venait en été tremper là son linge et ses bras blancs. Le souvenir de cette pieuse attention la toucha, et elle pensa à son frère. Il l’aimait encore sans doute ; c’était le seul cœur où son image fût restée pure. Qu’était-il devenu ? où était-il ? Jamais plus ne devait-elle le revoir ? Puisque tout la repoussait ici, pourquoi ne pas aller le retrouver sous le drapeau, ne pas aller chercher à ses côtés un peu de force contre la vie, et lui en donner soi-même un peu contre la mort affrontée tous les jours ?

Cette idee ravit tout d’abord Marguerite à son triste projet, et elle ne songea plus qu’à la mettre à exécution. Elle savait de quel régiment son frère faisait partie : c’était le 92e de ligne ; il ne lui en fallait pas davantage. S’informer aux corps qu’elle ne pouvait manquer de rencontrer en route, où était ce régiment, et y marcher droit, tel fut son plan, simple et vite fait. Elle voulut se mettre en marche sur-le-champ. Elle se baissa, et prit avec la main une gorgée de cette eau qui réfléchissait les ombrages du pays natal, moins pour s’y rafraichir que pour y boire la force et le courage.

Elle retourna à la cabane d’où son père venait de la repousser, couvrit le seuil de baisers, puis se rendit au château. Il pouvait être quatre heures du matin ; tout le monde y reposait encore. Elle monta à sa chambre, fit un paquet de ses bardes les plus indispensables, prit une petite somme d’argent, fruit de ses économies de deux ou trois ans, et, sans retourner la tête, inébranlable dans sa résolution, elle se trouva bientôt sur la grande route qui mène de Troyes à Paris par un parcours d’une quarantaine de lieues. Instinctivement elle se dirigeait vers la capitale, pensant que les corps d’armée français, refoulés par les masses envahissantes, devaient se concentrer au cœur du pays.

On était alors à la fin du mois de mars. La matinée était claire et belle ; les oiseaux n’avaient rien compris aux coups de canon qui avaient ébranlé leurs nids de mousse, et, orchestre ailé, donnaient leur concert annuel en l’honneur du printemps. La rosée constellait de perles humides la robe que Dieu tire de son écrin pour parer la terre à chaque saison des amours ; le soleil montrait son honnête figure derrière un nuage rose, et levait en souriant d’aise sa paupière de feu encore un peu appesantie. À l’horizon opposé, la lune s’effaçait dans un bleu clair, et semblait, avec sa douce pâleur, une jeune miss qui va chercher la santé sous un climat meilleur. Tout pépiait, sautelait et souriait dans la fraîcheur de l’herbe et