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LE PRÉSENT.

SECONDE PARTIE. — PARIS.
IX.
LA GUERRIÈRE.

Tandis que Georges vole vers Paris et que son éperon impatient attache des ailes aux flancs ensanglantés de son cheval, Marguerite dort sous un chêne. Son sommeil fut court et agité de rêves pénibles ; le réveil fut plus triste encore. Le jour n’était point venu quand elle se mit sur son séant, et se frotta les yeux, le corps brisé, l’âme endolorie. Dans cette sorte d’ombre qui enveloppe toutes les pensées au sortir du sommeil, elle revit avec effroi s’agiter comme des fantômes tous ceux qui, depuis un mois, avaient troublé sa vie jusque-là si paisible. C’était Georges, le beau seigneur russe, l’œil humide et le front désolé ; c’était son père, le visage menaçant ; c’était Clotilde, la lèvre irritée et pleine de reproches ; c’était Pierre, le bras tendu vers elle pour la maudire ou la frapper ; c’étaient enfin les habitants du village qui lui montraient avec colère leurs cabanes incendiées et des cadavres amis gisant dans les décombres ; et tout cela à cause d’elle ! C’était elle qui avait pris l’ennemi par la main, et avait lancé sur son village natal la mort et l’incendie. Etait-ce bien possible, elle qui, depuis les derniers malheurs, avait rêvé si souvent de Jeanne, la chaste héroïne, la guerrière immaculée !

Elle resta longtemps, assise ainsi, à évoquer ses douleurs ; elle ne sentait ni le froid, ni l’humidité de la nuit. Si elle regardait en elle-même, qu’y voyait-elle ? Hélas ! elle ne pouvait se le dissimuler : c’était toujours la même image chérie, l’image de celui auquel elle avait sacrifié son pays et son père ; et lui aussi la croyait coupable et la méprisait maintenant. C’en était trop pour la pauvre enfant. Des larmes chaudes et abondantes comme une pluie d’été mouillèrent ses belles joues, plus fraîches et plus fines que les plus délicates feuilles cachées au calice d’une rose de mai, puis elle se mit à genoux et pria. Sa prière fut longue et fervente. Autour d’elle, tout lui était hostile ; elle ne voyait plus d’ouvert que le sein du Dieu qui lit dans les cœurs ; elle s’y jeta éperdument. Quand elle se releva, elle se sentit plus forte et voulut tenter un dernier effort auprès de son père. Elle se dirigea donc vers la cabane où elle le savait caché. Elle hésita un moment sur le seuil, puis, rassemblant tout son courage, elle frappa et attendit. Rien ne remua. Elle frappa plus fort ; la voix rude de son père répondit :

— Qui va là ?

Elle leva la tête vers une petite fenêtre d’où venait le son, et n’aperçut que le bout d’un fusil tourné vers elle.