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L’ANNÉE DES COSAQUES.

— Oui, madame.

— Est-ce la première fois ?

— Non, madame.

— Pourquoi alors ces rendez-vous dans mon parc ? Prenez garde à votre réponse, monsieur, et éclaircissez ce mystère ; sinon, je vous fais juger comme voleur de nuit avec escalade. J’ai des témoins ; songez-y bien.

— C’en est trop, dit Pierre au désespoir. Je venais… Non, je ne veux pas pourtant… Pauvre père ! il m’appelait son fils… Et cependant, voleur de nuit ! voleur de nuit !

— Les voleurs de nuit, vous le savez, vont au bagne, et sont marqués à l’épaule comme forçats.

— C’est affreux ! dit Pierre. Lui-même ne le voudrait pas ; il me pardonnera. Que notre sang retombe sur votre tête, mademoiselle ! Je venais lui dire… Marguerite s’élança au devant de lui et lui ferma la bouche de la main.

— Que tu m’aimes ! Ne le nie pas : tu es mon amant ! Et moi je t’aime aussi ; tu le sais bien. Je t’aime !

— Enfin ! dit la marquise.

— Marguerite, dit Pierre bas à l’oreille de la jeune fille, je te pardonne de m’avoir livré. Au moins, lui vivra. Je n’aurais pas voulu passer pour un voleur.

— Et tu n’es pas un voleur ! reprit Marguerite à haute voix et avec exaltation ; tu es mon amant. Êtes-vous satisfaite, madame ?

— Oui, mademoiselle. Eh bien ! Georges, est-ce clair ? Où va-t-il donc ? Georges se dirigeait à grands pas vers le château.

— Pas excessivement clair, dit le comte en secouant la tête. Mais que m’importe ? ce n’est pas mon affaire. À nous deux, monsieur Jarry ; ce sera à moi de vous interroger.

— Ce ne sera pas long : j’avoue tout.

— C’est que, vous savez… jugé alors et fusillé dans les vingt-quatre heures.

— Sans doute, mais pas comme voleur de nuit, dit Pierre.

Deux heures après, Georges, à cheval, allait rejoindre le quartier impérial à franc étrier. L’armée russe approchait de Paris ; une grande bataille allait se livrer ; il voulait voir si quelque balle égarée n’aurait point pitié de lui. Pierre Jarry était gardé à vue dans une chambre du château ; Marguerite, n espérant pas trouver un asile au village, s’était enfuie de nouveau au bois, et seule, sans abri, abandonnée par son amant, repoussée par son père, méprisée des siens, elle s’était jetée au pied d’un arbre, où un sommeil profond vint un moment endormir sa douleur et fermer ses yeux fatigués de larmes.

FIN DE LA PREMIÈRE PARTIE.