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LE PRÉSENT.

lui avait traversé la poitrine de part en part. Il tira sur le groupe qui lui barrait le passage : un homme tomba ; les Russes ripostèrent ; quatre balles sifflèrent aux oreilles de Pierre ; aucune ne le toucha. Son fusil était déchargé ; il le prit par le canon, et s’élança, la crosse haute, sur ses ennemis. Ceux-ci reculèrent. Pierre gagnait du terrain ; il se rapprochait de la muraille, quand tout à coup la main de Georges, accouru avec le comte, s’appuya sur son épaule. Il se retourna. Ce mouvement le perdit ; en un clin d’œil il fut saisi et désarmé.

Des torches s’allumèrent, et Pierre fut conduit devant la marquise. Marguerite sanglotait à ses côtés. Le jeune homme lui lança un regard de compassion et de reproche.

— Ah ! Marguerite, je ne l’auras pas cru ! lui dit-il à voix basse en se penchant vers elle.

— Ah ! mon Dieu ! il croit que je l’ai trahi ! dit Marguerite.

— Que veniez-vous faire ici ? dit la marquise à Pierre sévèrement.

— Répondez pour moi, Marguerite, si vous en avez le courage. Dites, que venais-je faire ici ? Répondez. Est-ce là la récompense de ce que j’ai cru être du dévouement ? L’avez-vous vendu aussi à nos ennemis, lui, l’homme aux cheveux blancs ?

Le regard de Pierre pesait sur Marguerite, triste et découragé. Ces paroles, inintelligibles pour les assistants, la faisaient frémir. Si Pierre révélait qu’il venait lui donner des nouvelles de son père, Ostrowki mettait ses soldats en campagne, fouillait les environs, et son père était fusillé.

— J’attends votre bon plaisir, monsieur, dit la marquise avec hauteur. N’êtes-vous pas M. Pierre Jarry ?

— Je suis Pierre Jarry.

— Tiens ! tiens ! dit le comte, vous êtes Pierre Jarry. Eh bien ! moi, je suis le comte Ostrowki, qui vous cherche depuis assez longtemps, ma foi ! Puisque je vous trouve, permettez… Soldats, ne perdez point cet homme de vue ; vous en répondez sur vos têtes. Vous aurez affaire à moi plus tard, monsieur ; pour le moment, répondez à madame la marquise.

— Monsieur Pierre, dit madame de Lautages, n’êtes-vous pas l’amant de mademoiselle Marguerite Grandpré ?

— Moi ! l’amant de mademoiselle ! Non, madame.

Le ton de pitié à la fois et de dédain, de tranquillité au moins apparente a’CL lequel ces simples paroles furent prononcées, firent tressaillir Georges.

— Bien vrai ? dit-il en courant à lui. Vous le jurez ?

— Je le jure !

— Une preuve ! une preuve !

— La voici, dit madame de Lautagcs en souriant. N’aviez-vous point un rendez-vous avec mademoiselle ?