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LE PRÉSENT.

la recommandationde faire placer près du mur d’enclos du parc quelques cavaliers du détachement. Ostrowki donna des ordres immédiats.

Marguerite, rentrée chez elle, réfléchit à ce qui venait de se passer, et comprit qu’il fallait sur-le-champ prévenir Pierre Jarry de ne point venir le soir au parc, dans la crainte qu’on ne lui tendit quelque piège ; elle voulut sortir, elle était enfermée. Elle cria, elle appela, personne ne vint ; elle essaya avec ses petites mains d’ébranler la lourde porte de chêne, elle épuisa ses forces sans y réussir. Elle courut à la fenêtre ; vingt-cinqou trente pieds, au moins, la séparaient du sol. Que pouvait-elle faire ? pleurer et attendre. Elle pleura et attendit.

À minuit, on vint la chercher, et un quart d’heure après, la marquise, le comte Ostrowki, Georges et Marguerite étaient réunis près des marronniers, au fond du parc. Le projet de la marquise s’accomplissait. Elle voulait démontrer à Georges par le fait même et le flagrant délit l’infidélité de celle qu’il s’obstinait à préférer à sa fille. Pierre ne savait rien de ce qui s’était passé ; Marguerite n’avait pu le faire prévenir ; il était donc probable que ce soir-là, comme les autres, il se trouverait au rendez-vous habituel.

Le comte, malgré son insouciance ordinaire, portait à l’affaire cet intérêt du chasseur au gîte qui se demande si la bète partira ou ne partira pas. Il considérait Georges avec un air de pitié moqueuse, et laissait échapper de temps en temps des monosyllabes ironiques.

La marquise était grave et sévère. Il avait fallu tout son désir d’ouvrir les yeux de Georges pour la décider à cette surprise peu digne de son nom et de son rang. La conscience même qu’elle, avait de cet abaissement momentané contribuait à assombrir sa belle figure un peu froide, et l’attention qu’elle portait au moindre bruit, fût-ce celui d’une feuille tombant d’un arbre, prouvait son impatience et son désir de voir la situation se prolonger le moins possible.

Georges n’avait consenti qu’avec peine à se prêter au projet de Mme de Lautages. Il lui répugnait comme un guet-apens ; il avait même déclaré que rien ne pourrait le contraindre à jouer un pareil rôle de surveillant et d’espion, et cependant, inconséquence ordinaire de la passion ! il était arrivé le premier aux marronniers. Maintenant, il était là, tour à tour rouge et pâle à la plus légère brise qui faisait frissonner le lierre dont les arbres étaient revêtus, la tête tendue en avant, comme pour percer l’obscurité, frissonnant de crainte et de jalousie. Deux ou trois fois, il crut entendre des pas, porta la main à son épée et fut prêt à s’élancer. Il ne voyait ni la marquise, ni le comte, ni Marguerite ; il était en proie à une seule idée, violente, irrésistible, qui retentissait dans son cerveau comme le roulement continu d’un tonnerre : ai-je, oui ou non, un rival ?

Aussi grande était l’angoisse de Marguerite. Elle implorait le hasard, elle le suppliaitavec toute la ferveur d’une piété qui ne raisonne pas. Peut-être aujourd’hui serait-il retardé ; peut-être serait-il retenu auprès de son père pour un motif