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J.-P. DE BÉRANGER.

remarquénon plus, qu’à côté de vous, le ciel avait fait éclore un grand chansonnier, qui ne demandait qu’un grabat, quelques morceaux de pain, et des applaudissements pour vous éclipser peut-être.

Écoutez plutôt quelques couplets de cette admirable chanson des Cloches :


Par ma fenêtre s’est enfuie
L’illusion, et pour jamais !
Doux rêves, adieu : je m’ennuie
Au son des cloches que j’aimais.
D’interprèter leur babillage,
Poëte, à seize ans, j’eus le don.
Pour fêter le saint du village,
Les cloches disaient : allons donc :
Arrivez donc !
Arrivez donc !
Arrivez donc !

Mais je suis peu dévot, et même
Il me souvient d’avoir osé
Faire un gai repas en carême,
Repas d’amis, bien arrosé.
Homme de Dieu, point de reproches :
Il excuse un jour d’abandon ;
Puis… c’était la faute des cloches
Qui nous répétaient : allons donc :
Grisez-vous donc !
Grisez-vous donc !
Grisez-vous donc !

Quand je donnai mon cœur à celle
Qui n’en veut plus, et l’a toujours
Le tocsin même et la crecelle
Parlaient aux vents de nos amours.
A l’ombre des bois, sur la mousse,
Rêvant mieux que sur l’édredon,
Nous entendions, de leur voix douce,
Les cloches nous dire : allons donc :
Aimez-vous donc !
Aimez-vous donc !
Aimez-vous donc !


Ces vers ne vous remémorent-ils pas la poésie religieuse dont Chateaubriand a environné le presbytère et le clocher de village ? Ne croyez-vous pas aussi entendre les bizarres notes de Rabelais sur ce bruit fatidique de l’airain ; bruit vague et confus au premier abord, mais qui devient insensiblement, à l’oreille attentive, le babil de la gaieté ou le glas de la tristesse ? Ne sentez-vous pas aussi revenir, comme une brise de la mer, ces années crédules et naïves d’un âge qui attachait un sens intime et profond à toute forme singulière du chemin, et à chaque bruis-