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LE PRÉSENT.

en gerbe. Un peu plus loin, une jeune fille de dix-sept ans fait des remontrances à un tout petit Amour qu’elle vient d’acheter et l’exhorte à entrer dans une cage dont elle tient la porte entr’ouverte. Le mutin s’y refuse, pérore et donne ses raisons. Vieux et jeunes, hommes et femmes, il n’est point d’âge ni de condition qui n’ait son représentant à la vente des Amours. N’était un peu d’obscurité dans la pensée et un peu de confusion dans les groupes, ce serait une toile de valeur.

De la vente des Amours passons, s’il vous plaît, à la bataille d’Austerlitz, et des petits bonshommes joufflus armés d’arcs et, de carquois aux grenadiers maigres et basanés de Napoléon. La veille de la bataille, raconte non-seulement la légende, mais l’histoire, Napoléon sortit de sa tente et alla visiter les bivouacs. Bientôt il fut reconnu et les soldats, pour l’éclairer, ramassant la paille qui leur servait de lit, en firent des torches qu’ils placèrent au bout de leurs fusils. C’est ce moment qu’a voulu reproduire M. Gigoux. On voit d’ici tous les éléments de la composition ; la nuit, Napoléon, les torches, et l’enthousiasme de ces hommes que demain la mort doit faucher par milliers. Cela est saisissant, dramatique, prête à l’expression, aux oppositions d’ombres et de lumières, au pittoresque des costumes. M. Gigoux, j’ai regret de le dire, s’est bien appliqué et a dépensé beaucoup de couleur dans un beau cadre, mais n’a pas fait un bon tableau. Son Napoléon a un air maladif et revêche qui fait peine à voir. Les soldats ont l’air de soldats en buis. Jaunes et pensifs, on dirait qu’ils font l’exercice des torches, tant il y a de froideur et de précision mécanique dans leurs mouvements. Quelques-uns même ont cette mine de mauvaise humeur d’un homme qu’on vient de réveiller au beau milieu de son premier sommeil. Où est le bruit ? où est la vie d’un camp ? où est la joie ? Où est la confiance guerrière ? où sont les cris, les vivat, les visages exaltés, les yeux rayonnants, les sourires pleins d’espérance, les fusils en faisceaux, les tambours couchés à terre et le fourmillement des armes diverses, mêlées, con-Tondues dans le même élan d’audace et d’enivrement ? Sent-on la poudre ? les narines dilatées aspirent-elles le combat ? La nuit sereine enveloppe-t-elle de sa calme indifférence et de son immense tranquillité ce point de lumière et d’agitation ? Rien de tout cela ; vous avez un homme en redingote qui passe, un grenadier en bois dont on a poussé le ressort et qui fait le salut militaire, voilà tout. Ce qui prouve qu’on ne fait pas de chefs-d’œuvre rien qu’avec la bonne volonté.

Puisque j’entre dans le cercle de feu des batailles, j’irai tout d’abord au peintre ordinaire des troupiers français, à M. Horace Vernet. Sa bataille de l’Alma est bonne, sans furie, sans carnage ; çà et là un feu de peloton, une fumée blanche, et on grimpe à perdre haleine. C’est bien, m’a-t-on dit, la physionomie de la journée. Les jarrets eurent au moins autant à faire que les baïonnettes. La rivière de l’Aima coule au pied du plateau ; un certain nombre de bataillons l’ont franchie déjà, et on voit leurs sacs s’échelonner sur les hauteurs ; d’autres la passent à leur tour. Sur Je premier plan, le prince Napoléon, entouré de son état-major, dirige les mou-