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LE PRÉSENT.

nement, naïvement, sans se douter qu’on les regarde et qu’on s’extasie de leur façon d’être. Et sur ces corps en raccourci, il n’est pas un pli presque imperceptible de l’étoffe qui les couvre qui ne soit indiqué, pas une brisure de l’habit au genou, aux coudes, aux épaules, qui ne soit tracée, et sous l’habit, il n’est pas un muscle, pas un nerf qui ne ressorte à sa place, pas un os qui ne soit saillant là où il faut. Ils sont vigoureusement constitués, je vous assure, les bonshommes de M. Meissonier. Pas un d’eux qui ne doive vivre cent ans. Au rebours, en effet, des grands messieurs qui les entourent au Salon, et qui n’ont que la peau sans musculature, sans charpente osseuse, sans ce squelette indispensable que la vie se charge d’habiller de chair pour quelques années, ils ont des muscles, ils ont des nerfs, ils ont des os dont le dessin nous fait confidence avec une précision mathématique. Quelqu’un me faisait remarquer l’autre jour que, parmi tout ce peuple si bien portant, si vigoureux, à hauts de chausses et à pourpoints, il n’y avait pas une seule femme, pas une seule cornette. C’est le mélancolique aspect de Rome avant l’enlèvement des Sabines. Je ne m’explique guère l’oubli, et je soumets la plainte à M. Meissonier.

Son exposition de cette année vaut ses expositions précédentes. C’est tout dire. Je ne sais même si jamais le célèbre artiste nous a rien fait admirer d’aussi parfait que ce petit tableau qui s’appelle Un Homme à la fenêtre. Le coude appuyé sur sa fenêtre, il fume sa pipe, ce joli homme, et il regarde le ciel, non point d’un air mélancolique et rêveur, non point langoureusement, à la René ou à la Werther, mais simplement, gaiement, bonnement. Il regarde le ciel, en lançant des bouffées de tabac, parce qu’il lui fait plaisir de voir une belle plaine bleue, tout unie comme du cristal, et sur cette plaine bleue flottant légèrement, comme un bout d’écharpe rose derrière une jeune fille, des flocons de nuages éparpillés çà et là, de place en place. Mais ce qui ne saurait s’imaginer, c’est l’immense étendue de ciel qui s’aperçoit par l’étroite fenêtre de ce petit tableau. Ce n’est qu’un coin d’azur, et ce coin semble un océan ; ce coin a des profondeurs de lumière et des largeurs de perspective qui attirent, charment et épouvantentl’œil stupéfait. Parmi les cent mille personnes qui ont admiré ce chef-d’œuvre en miniature, il n’en est pas une, certainement, qui ne se soit accoudée à cette fenêtre et n’ait partagé la contemplation du petit compagnon à la pipe.

Cet autre petit compagnon si coquet, à collerette de dentelles, à large chapeau empanaché, à vaste perruque, c’est un Amateur de tableaux chez un peintre. Il est assis devant un tableau ; il a un coude appuyé sur son genou, et son corps penche de ce côté ; un de ses pieds pose solidement à terre et l’autre est relevé sur une des barres du chevalet. Derrière lui est le peintre. Mais la merveille est de voir l’air de noblesse et d’attention profonde de l’amateur, l’intelligence qui luit dans ses yeux calmes et le naturel de sa pose, et l’élégante richesse de ses habits.