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LE PRÉSENT.

— Mais pourquoi ce rendez-vous, à Georges, dans le parc et non pas chez elle, ce qui eût été bien plus simple.

Cette réflexion l’embarrassant, il voulut en avoir le cœur net et reprit la piste.

— Ouf ! se disait-il à lui-même essoufflé sur sa trace, il faut qu’elle aime diantrement l’heureux mortel, quel qu’il soit, qu’elle va trouver. Elle ne court pas, elle vole.

Lui-même volait sur ses pas avec moins de légèreté, il faut le croire, car Marguerite, au bruit que fit une branche de bois mort brisée sous sa botte, se retourna ; le sein agité, le teint coloré par la rapidité de sa course, elle jetait autour d’elle des regards effrayés, Son émotion l’embellissait encore. Le comte l’admira sincèrement et comprit la passion de Georges.

L’ombre d’un grand chêne l’avait dérobé aux yeux de Marguerite qui reprit sa course et s’arrêta sous les marronniers. Le comte se glissa aussi près qu’il put, et vit un jeune homme, qui n’était point Georges et qui attendait, prendre Marguerite et la serrer dans ses bras. Elle semblait bien faire quelque résistance, mais Ostrowki savait à quoi s’en tenir sur ces apparences, et il reprit tout pensif le chemin du château.

— Je n’ai pas besoin d’en voir davantage, se dit-il ; c’est assez clair ; mais puisqu’il en est ainsi, et que la Marguerite est une Marguerite des près qui se laisse cueillir à toute main, je veux, pardieu ! orner aussi d’un de ses petits boutons d’or mon herbier d’amoureux.

Sur cette agréable pensée, le comte Ostrowki rentra au château et se mit au lit. Il avait bien eu un moment la pensée d’aller frapper à la porte de Georges, pour lui montrer sa belle en tête-à-tête avec le jeune inconnu, sans autres témoins que la lune et les habitants ailés des marronniers ; — mais après tout, ce pauvre garçon le saura toujours assez tôt, dit-il. Il est inutile d’aller le tirer d’un rève agréable qui lui montre peut-être sa Marguerite pure comme le diamant, avec une couronne d’étoiles sur la tête et le soleil à ses pieds, pour la lui montrer faisant l’amour au clair de la lune avec un manant. Fi ! la belle Marguerite ! Fi ! fi !

Cette harmonieuse et méprisante onomatopée glissait encore sur les lèvres du comte que déjà il se laissait aller, peu à peu, lui-même aux charmes d’un agréable sommeil, qui, tirant son âme assoupie de son corps fatigué, l’enlaça moelleusementdans ses bras divins, la berça dans ses hamacs les plus doux de pourpre et de soie, et l’emporta au pays des songes, où elle s’égara par des sentiers semés d’étoiles, et d’une poussière d’or et de perles. Une foule de petites fleurs bordaient la route, et le regardaient avec leurs boutons d’or pâle, changés en autant d’yeux étincelants ; elles chantaient en chœur avec une ineffable harmonie : Je suis Marguerite, la belle Marguerite qui croît dans le ciel, et je pousse pour que les beaux yeux de ma reine se reposent sur moi avec plaisir. Et il lui