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L’ANNÉE DES COSAQUES.

que Jarry, qui, chef de l’expédition, pouvait ètre trahi par la moindre indiscrétion.

La terreur de Marguerite fut grande. Elle trembla pour la vie de son père et alla chez le père Jarry demander ce qu’il était devenu. Le vieillard écouta sa prière sans mot dire, et quand elle eut fini, lui montra la porte.

— Va-t’en ! Tu veux sans doute le livrer à tes amis. Sors d’ici, malheureuse enfant, et va retrouver ceux à qui tu sacrifies ton père et ton pays.

Marguerite eut beau prier, le vieillard ne voulut rien entendre. Elle se retirait en pleurant, et traversait la cour, quand (la petite Jeannette, qui l’avait suivie, tira doucement le bas de sa robe. Marguerite se retourna et embrassa l’enfant.

— Tu veux avoir des nouvelles de ton père, Marguerite ?

— Sais-tu où il est, mon enfant, parle vite !

— Trouvez-vous ce soir à onze heures dans le parc, sous les marronniers, ous verrez là quelqu’un qui vous parlera de lui.

Marguerite serra Jeannette dans ses bras.

— Oui, oui, j’y serai. Va-t’en vite, qu’on ne te voie pas avec moi, on te battrait.

Marguerite sortit un peu tranquillisée. Comme elle traversait les rues, une escorte de gamins se forma derrière elle, qui la poursuivit d’injures. Tremblante, elle se hâta ; une sorte d’émeute s’attachaà ses pas ; des pierres et de la boue commençaient à voler sur sa robe, autour de sa tête ; sa frayeur s’augmenta, elle se mit à courir, on courut derrière elle. Le rassemblement s’était, grossi chemin faisant ; des femmes s’y étaient jointes et s’y montraient les plus exaltées. Une d’elles, une vieille mégère, s’approcha de Marguerite et l’accabla d’injures.

Un fossé entourait le château : un enfant s’écria avec la cruauté instinctive qui caractérise cet âge A l’eau, la belle Marguerite qui aime tant les Cosaques !

Cent voix répétèrent : à l’eau ! à l’eau ! et quelques femmes, la saisissant par les vêtements, voulurent la traîner jusqu’au bord du fossé. Marguerite se débattait et poussait des cris perçants ; malgré ses efforts, elle perdait du terrain, et déjà elle était au bord du quai peu élevé qui faisait saillie sur la rive, quand la grille du château s’ouvrit, et Georges apparut avec le comte. S’élancer, saisir Marguerite, l’emporter dans ses bras fut pour Georges l’affaire d’un moment. Quelques soldate russes s’étaient rassemblés ; Ostrowki fit un signe et ils dispersèrent la foule.

Une heure après, Georges et le comte se promenaient dans une allée du parc. Quoique de caractères bien différents, c’étaient deux amis intimes ; Georges eût donné au comte jusqu’à son dernier rouble, et le comte eût cédé à Georges, s’il le lui eût demandé fort instamment, son cheval favori, magnifique andaloux, aux yeux de feu, à la croupe nerveuse et aux jarrets d’acier. Ostrowki savait, comme toute la noblesse russe, que le prince devait épouser Clotilde de Lautages après la campagne. Donc, après avoir devisé de choses et d’autres, Ostrowki s’arrêta tout