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LE PRÉSENT.

forêt. Dans l’après-midi, Georges, reposé, descendit au salon et là, la marquise, le plus naturellement du monde, après lui avoir montré la lettre de l’empereur, lui demanda le récit de ses aventures.

Georges raconta tout, en effet, sa blessure, et les jours et les nuits passés dans la cabane de l’Etang-Joli, et le dévouement de Marguerite qui l’avait soigné comme une sœur, mais de crainte de froisser le cœur de cette jeune fille qui l’écoutait avidement, les yeux noyés de larmes, il s’étudia à cacher son amour sous les dehors de la gratitude pour sa jeune protectrice. Clotilde ne soupçonna rien de plus ; sous les réticences de Georges, madame de Lautages devina tout, et s’aidant du récit qui lui avait été fait le matin, reconstruisit le roman de l’amour du prince, mais elle était trop habile pour rien laisser voir de sa perspicacité. Elle ne songea même pas un instant à renvoyer Marguerite de sa maison, et à aviser ainsi par l’absence à ce qu’elle croyait une amourette insignifiante, née le matin comme la fleur des champs,’et qui le soir devait être flétrie comme elle. La fierté de ses propres inclinations tout aristocratiques, malgré sa bonté envers ses inférieurs, et les préventions bien naturelles de l’amour maternel ne lui permettaient pas de douter que Georges, voyant chaque jour Clotilde et Marguerite l’une près de l’autre, pût hésiter un instant entre elles.

La pauvre Marguerite, après la scène des tilleuls, avait voulu suivre son père blessé, son père l’avait repoussée. La marquise la fit venir et lui témoigna sa reconnaissancede ce qu’elle avait fait pour Georges ; puis, tandis que Clotilde accablait, la jeune fille de remercîments et de carresses, elle se retira chez elle.

Elle écrivit immédiatement à l’empereur Alexandre que son jeune officier était guéri de ses blessures, elle raconta succinctement les dangers qu’il avait courus attaqué par toute une bande de paysans, et, peu rassurée par l esprit des populations au milieu desquelles elle vivait, elle demanda en son nom une escorte pour regagner le camp impérial.

En effet, quelques jours après, arriva une compagnie de dragons russes, commandée par un ami de Georges, le comte Ostrowki. Il avait reçu les instructions les plus sévères ; on savait bien au camp des alliés que les dispositions des campagnes étaient toutes hostiles à l’invasion ; chaque jour des soldats écartés de leurs corps disparaissaient, et, par une sévérité calculée, on voulait terrifier ces rudes populations et leur faire tomber les armes des mains. Aussi le comte se montra-t-il impitoyable jusqu’à la cruauté. Lui-même logeaau ; château ; ses soldats furent dispersés chez les habitants, et des recherches furent commencées, malgré les supplications de Georges et de la marquise, contre ceux qui avaient pris part à l’attaque de la cabane. Ceux qui en étaient revenus sains et saufs ne pouvaient guère être reconnus, mais il en était que leurs blessures dénonçaient. Deux de ces malheureux furent arrachés de leur lit,. encore tout saignants, et fusillés sur la place des Tilleuls. Les autres, et parmi eux le père Grandpré, furent cachés, ainsi