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LE PRÉSENT.

ensuite le chiffonnier, qui rêve dans l’ivresse gloire, batailles et royauté ; —l’assassin, qui cherche dans le vin l’oubli du remords, et n’y trouve que les âcres ferments du délire et de l’impiété ; — le poëte et l’amant, qui demandent au sang de la vigne tous les ravissements de l’esprit et de l’amour.

La mort ferme le livre du poëte, comme elle ferme les courtes joies et les sinistres égarements de la vie. Les amants meurent au milieu des fleurs, le sourire aux lèvres, l’éclair prophétique dans les yeux, bercés sur l’aile de l’ange des dernières amours. Le pauvre salue la mort comme la consolatrice divine ; l’artiste espère par delà le tombeau l’achèvement de la destinée et un incorruptible avenir.

La Revue de Paris, la Revue des deux mondes, l’Artiste, la Revue française, ont publié avant l’apparition du livre quelques-uns des morceaux qui le composent, et aussitôt quelques clameurs discrètes mais concertées se sont fait entendre. « Le poëte a passé trente ans, et il se complaît dans la peinture du vice et de l’orgueil ! il analyse curieusement les progrès de la décomposition cadavérique, il assimile les vices aux animaux impurs ou féroces ! Pourquoi donc étaler toutes ces plaies hideuses de l’esprit, du cœur et de la matière ? »

Eh ! quoi, n’avez-vous point de passe-temps plus doux ? En vérité, ces reproches nous paraissent injustes : l’affirmation du mal n’en est pas la criminelle approbation. Lespoëtes satiriques, les historiens, les dramaturgesont-ils jamais été accusés de tresser des couronnes pour les forfaits qu’ils peignent, qu’ils racontent, qu’ils produisent sur la scène. Est-ce Juvénal qui s’est prostitué aux portefaix de Rome, ou Shakspeare qui a tué Banco ? En opposition avec une philosophie stérile, muette, superficielle, que nous enseigne la théologie chrétienne ? que l’homme volontairement déchu est là proie du mal, et que toutes les sources de son être ont été corrompues, le corps par la sensualité, l’âme par la curiosité indiscrète et l’orgueil. Les livres des théologiens sont pleins de tableaux où le vice est non pas légèrement indiqué, mais fouillé jusque dans ses plus mystérieuses profondeurs, disséqué jusque dans ses fibres les plus honteuses ? Une sainte, trois fois canonisée par l’Église, sainte Brigitte, a bien osé nous montrer Jésus-Christ offrant à Satan une grâce pleine et entière, sous la condition d’une parole de repentir, et l’invincible orgueilleux se refusant à ces charges de la clémence divine ! Tertullien et Bossuet ont suivi au delà du cadavre les traces du néant de l’homme. « Ce nom même de cadavre ne lui reste pas longtemps, parce qu’il exprime encore quelque forme humaine. Ce n’est plus bientôt qu’un je ne sais quoi qui n’a plus de nom dans aucune langue. » Oui, la théologie chrétienne décrit savamment le mal, pour nous en inspirer l’horreur, pour nous commander le retour laborieux au bien. Elle peint industrieusementles affres de la mort, le cadavre, le ver de la tombe, la décomposition de nos misérables restes ; en même temps elle éclaire toute cette pourriture d’un rayon d’immortalité, et nous montre les héros abattus par la mort, mais relevés par Dieu qui pardonne, plus triomphants qu’à