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LE PRÉSENT.

tant d’insultes à la vérité immaculée. Cette intolérance impraticable part d’une trop haute estime de l’homme. Qui de nous, toutefois, n’a pas eu à défalquer de belles illusions de ses premiers comptes sur l’amitié et l’amour ? Aussi nous suivons Alceste comme nos rêves évanouis. Ses prétentions de redresseur ne nous paraissent pas ridicules, mais comiques ; et en les accompagnant d’un triste sourire, nous respectons les erreurs d’une âme candide.

Peut-être, jadis, Philinte n’a-t-il pas été fort éloigné de ces enthousiasmes ; mais l’expérience, le désir d’une vie tranquillement abritée des orages de la discussion, lui ont fait adopter le système commode des révérences de cour ; toutefois, honnête au fond, il admire Alceste en le blâmant, et cherche à lui éviter des rencontres fâcheuses. Cette intention affectueuse doit se manifester à propos du sonnet d’Oronte. M. Maubant — j’aurai assez à blâmer plus tard pour rendre cette justice — a oublié cette nuance.

Célimène ne saurait être classée que dans le monde de l’art ; elle n’a jamais vécu que dans le cerveau de Molière. Quelle éblouissante coquette ! et qui pourra jamais nous la représenter. On prétend que mademoiselle Mars…, mais c’est un on dit. — Figurez-vous ensemble et harmonieusement réunies Ninon de l’Enclos, madame de Sévigné, et cette grande aventurière qui arrive d’Amérique pour épouser Louis XIV ; n’oubliez pas la comédienne Béjart pour certains côtés diaboliques, et faites planer par-dessus l’esprit de Molière. Croyez-vous que les femmes de Balzac et toutes les dames aux camélias puissent approcher de cette désespérante création ? — Célimène ignore le fond de son âme, mais elle s’agite avec bonheur dans le cercle des suprêmes élégances. Son salon reflète la cour du grand roi. Ses illustres courtisans, hommes en crédit, lui sont autant de miroirs approbateurs où elle regarde avec complaisance le pouvoir de sa beauté. Perfide comme l’onde, médisante à l’excès, de l’esprit jusqu’au bout des ongles, de la grâce, de la verve, de l’entrain à jeter par les fenêtres, souple et forte, insensible aux désirs et à l’amour qui l’entourent,


Elle se développe avec indifférence,


comme le dit M. Charles Baudelaire, un remarquable poète.

Alceste enrage d’aimer tant d’imperfections, et il compte — ô candeur de l’amour ! — extraire un à un tant de vices enracinés. Célimène est assez flattée des emportements sauvages de son bizarre adorateur ; ils lui fournissent l’occasion de produire ses ressources machiavéliques ; toutefois, elle a mis dans ses projets de se faire accepter sans corrections. De nos jours, on terminerait le différend par un coup de poignard, geste expéditif et facile. Molière se décide à suivre l’antagonisme jusqu’aux dernières limites.

Éliante, nature droite et judicieuse, ne peut se défendre d’aimer Alceste ; mais, timide et pacifique, elle tremble d’affronter avec lui la tempête. Éblouie par une