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LE PRÉSENT.

que cependant il ne faudrait pas exagérer. Nicolas Boileau, avec son gros bon sens, a fort bien dit que


L’ennui naquit un jour de l’uniformité.


Le vers est facile à retenir et bon à méditer. J’aime beaucoup les Vanneuses de Béast. La beauté est aimable partout, et même pour vanner du blé il ne messied pas d’être jolie. Voyez plutôt cette charmante enfant de seize à dix-sept ans qui, de ses deux bras ronds, élève son van à la hauteur de sa tête. Le vent souffle autour d’elle, agite les boucles noires de ses cheveux, et emporte comme une pluie d’atômes blonds les petites paillettes restées dans le pur froment. M. Landelle s’est-il rappelé qu’autrefois on consacrait à Cérès le van mystique, et qu’on le portait en grande pompe aux fêtes des Panathénées ? Je le croirais presque, à voir l’air recueilli de la vanneuse. Elle sent qu’elle accomplit un acte sacré, l’épuration du grain, et dans sa belle robe rouge elle semble presque une prêtresse antique ou une jeune canéphore athénienne. C’est un bien bel âge que seize ans, l’âge où le désir sort de l’innocence comme une grenade rouge de la fleur, où l’esprit s’ouvre, où le cœur est comme un oiseau qui balbutie, sans la trop bien savoir, sa première chanson, où la brise chaude du jour apporte je ne sais quelles mélodie » indicibles de baisers, et je ne sais quels essaims de rêves embrasés. Or, le vent souffle, et je vous ai dit que la jeune vanneuse avait de seize à dix-sept ans. C’est pour cela peut-être que, grave et recueillie comme elle est, elle a aussi un air de maladive langueur et une teinte molle d’abattementdans le regard. Prenez garde, belle vanneuse, que la brise n’emporte votre cœur avec l’ivraie et les fétus légers. Il ne manque point d’oiseleurs aux champs pour chasser de tels oisillons.

Je donnerais bien quinze sous afin de faire dire une messe pour les Fienarolles de M. Hébert. Les fienarolles vendent du foin à l’entrée de la ville de San Sermano. Quel courage il leur faut, grand Dieu ! malades comme elles sont ; maigres, jaunes, chétives, elles grelottent la fièvre, et dans leurs yeux caves on voit déjà passer l’ombre de la mort. Elles sont diaphanes, elles sont transparentes, elles vont s’évaporer tout à l’heure comme des bulles de savon. Le pinceau de M. Hébert ne s’est jamais bien remis à ce qu’il paraît de cet air de mal’aria dont il s’est imprégné autrefois. Il ne peut plus produire que des créations maladives et étiolées. Pour rien au monde je ne voudrais lui confier mon portrait ; il me donnerait une maladie de poitrine, je me mettrais au lit et je ne m’en relèverais pas. Est-ce qu’il faudrait chanter un De profundis sur le talent si grand et si vrai pourtant de M. Hébert ?

Point n’est besoin de la seconde vue de M. Home pour prédire à Me Browne un bel avenir. Voilà un pinceau net, clair, spirituel et bien portant. Je ne connais de puritaines que dans les romans de Walter Seott et de Cooper. Je