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LE SALON DE 1857.
IV
MM. Gustave Boulanger, Picou, Jalabert, Courbet, Bédouin, Landelle, Breton, Millet, Hébert, madame Browne, M. Vetter..

M. Gustave Boulanger a tenté la grande peinture, je lui en sais gré. Mon pas que son Jules-César arrivé au Rubicon soit un chef-d’œuvre, il s’en faut, mais il est bien déjà d’avoir abordé un pareil sujet et de n’en avoir point été tout à fait vaincu. Sur les bords de ce ruisseau, au-delà duquel est la guerre civile avec ses hasards, César a arrêté son cheval au milieu des roseaux. Derrière lui, un légionnaire n’attend qu’un signe pour franchir allègrement la rivière, et dans le fond on aperçoit, au milieu d’une brume qui va s’épaississant, des aigles, des étendards, on devine le fourmillement de toute une armée en marche. Sur le même plan que le vainqueur des Gaules, au pied d’un saule, un jeune pâtre, insoucieux des destinées du monde, chantant sur sa flûte quelque Amaryllis champêtre, a interrompu sa douce musique, et il regarde étonné ce grand homme maigre et chauve, à l’épaule duquel la chlamyde de pourpre flotte en plis si superbes, et sur le front duquel semble voltiger un si noir souci. Telle est la composition du tableau, simple et saisissante. Malheureusement, il est d’une couleur un peu grise, et César, la figure importante, n’est pas réussi. Droit comme il est sur sa selle, avec une rigidité de marbre, il éveille involontairement dans l’esprit le souvenir du héros de Cervantes. Il semble dire, avec sa pose académique et théâtrale, froide par conséquent : Regardez-moi, c’est moi qui suis César, et je vais passer le Rubicon, chose grave et audacieuse entre toutes ! Je ne l’ignore pas, et je conforme mon air à la grandeur de la circonstance. Plus de naturel et de simplicité eussent été nécessaires, et, historiquement, c’eût été plus vrai. De tous les grands hommes, César fut le plus simple et le moins guindé, et même, au moment choisi par M. Boulanger, je suis sûr qu’il n’avait pas dans son attitude cette raideur et cette affectation de dignité.