Page:Le Présent, année 1, tome 1, numéros 1 à 11, juillet à septembre 1857.djvu/101

Cette page n’a pas encore été corrigée
93
L’ANNÉE DES COSAQUES.

temps de donner à mademoiselle Marguerite Grandpré le nom de princesse Georges Bariatinsky, le mien ; c’est tout ce que je vous demande.

Ce discours fit sur les auditeurs différentes impressions. Mais l’admiration fut le sentiment général.

— Un prince ! disait-on.

— Marguerite sera princesse !

— Ce qui sera tout de même assez flatteur pour le pays.

— Il faut lui accorder sa demande.

Marguerite avait profité de l’émotion presque universelle pour venir reprendre sa place auprès de Georges. Ses cheveux flottaient au vent, ses yeux humides étaient levés sur lui avec amour. Les plus féroces, à ce touchant spectacle, sentirent les fibres de leur cœur les plus endurcies se détendre, et plus d’un œil fut essuyé à la dérobée. Pierre Jarry était en proie à la plus violente exaltation ; il pleurait ouvertement. Son amour avec sa jalousie livrait combat à une admiration involontaire qui l’importunait. Il tournait de côté et d’autre comme un lion en colère ; soudain il leva son fusil ; Marguerite se jeta au devant de Georges et détourna le coup.

— Non, non, s’écria-t-on de toutes parts. Il sera temps de le tuer dans deux heures. Qu’il l’épouse, qu’il l’épouse avant de mourir.

— Soit, dit Pierre, je lui accorde deux heures, mais je vous jure que dans deux heures je lui fais sauter la cervelle, après avoir brûlé le premier qui voudra m’en empêcher, si on essaie.

Les rangs se formèrent pour le retour. En tête on portait le mort et les blessés, puis venaient Marguerite et Georges, et derrière eux Pierre, le doigt sur la détente de son arme. Des torches ouvraient, fermaient la marche et éclairaient de chaque côté les flancs de la colonne. Michel était porté sur un lit de feuillage à côté de son maître.

Cependant un gamin avait jeté une torche enflammée dans la cabane de l’Étang-Joli, et une trombe de feu s’élançait jusqu’au sommet des arbres. Plus d’une fois Georges tourna tristement la tête vers ce pauvre monument de ses amours où la flamme dévorait tant de souvenirs heureux avec l’humble toit de roseaux. Il lui semblait que c’était là le foyer de sa vie qui jetait sa dernière étincelle. Devant lui la mort et ses noirs espaces !

Jarry le couvait d’un regard plein de haine. Depuis plus d’une semaine, il avait pénétré le secret des refus de Marguerite. Il l’avait suivie une nuit et avait assisté à une de ses entrevues avec Georges. Sa vengeance venait d’éclater. Le jour commençait à poindre quand le cortége entra dans les premières rues du village. On fit halte sur la place des Tilleuls d’où l’expédition était partie. En avant était l’église, en arrière, à une centaine de pas, était le château auquel conduisait une avenue d’ormes et de peupliers. Un des hommes du groupe se