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Du monde en tous les sens j’ai battu la surface ;
Mais vainement le temps en a changé la face,
Mon sort hélas n’a pu changer !
Le temps coulait pour moi sans terme ni mesure,
Et mon cœur nourrissait l’éternelle blessure
Que rien ne pouvait alléger.

Lassé de ma durée, étranger chez les hommes,
Plus à l’abri du sort que les plus forts royaumes,
Je les ai vu naître et périr ;
Vainement j’ai voulu hâter ma destinée :
La mort à mon aspect reculait étonnée
Et je ne pouvais pas mourir !

Des autres, ici-bas, les peines sont bornées :
Avec le cercle étroit de leurs courtes années
Disparaissent les maux soufferts ;
Et que de fois encor ces enfants de la terre
Ne déposent-ils point leur fardeau de misère
Parmi les chants et les concerts ?

Mais moi ! rien ici-bas qui soulage ma peine !
Pas un ami qui m’aide à supporter ma chaîne,
Pas de femme aux baisers fervents.
Avec étonnement chacun me considère
Et l’on se dit : Quel est ce vieillard solitaire
Qui va plus vite que les vents ?

D’où vient-il ? vers quels lieux tend sa course hâtée ?
Serait-ce toi, Caïn, dont l’âme épouvantée
Fuit encore un frère mourant ?