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sion, pendant ces dernières années, une des guerres civiles les plus acharnées et les plus ruineuses dont l’histoire ait gardé le souvenir.

    Les deux propositions se liaient dans l’esprit de M. de Tocqueville à deux convictions qu’il m’a plusieurs fois exprimées et que ses amis retrouvent encore dans leurs souvenirs. Ne connaissant point les arts usuels et les Autorités sociales (§ 5), croyant d’ailleurs à l’incapacité gouvernementale des anciennes classes dirigeantes, il considérait comme inévitable la décadence de l’Occident. Il croyait d’ailleurs que cette décadence ne pouvait guère être accélérée par l’importation du régime américain. Assurément les Européens doivent continuer le tribut de leur admiration aux éloquentes vérités qui abondent dans l’ouvrage de M. de Tocqueville ; mais ils ne sauraient trop se tenir en garde contre l’impression qu’il laisse dans l’esprit du lecteur : car un peuple qui a besoin de réformes doit, avant tout, garder confiance en son avenir. — T. Jefferson, le démocrate le plus ardent parmi les fondateurs de l’Union américaine, ne voyait dans la démocratie que le meilleur moyen de mettre au pouvoir les supériorités naturelles. Il croyait ce moyen efficace en son pays, mais inapplicable aux populations agglomérées de la France où il avait longtemps résidé. Il écrivait, de Paris, aux premiers temps de notre révolution : « Je considère l’aristocratie naturelle comme le don le plus précieux que nous fasse la nature, pour l’instruction de la société, pour la direction et le maniement de ses affaires. La meilleure forme de gouvernement est celle qui pourvoit avec efficacité à ce que les fonctions publiques soient exclusivement confiées à ces aristoï naturels. « Je crois que le meilleur remède est de laisser aux citoyens le soin de séparer par des élections libres, les aristoï des pseudo-aristoï… Les hommes de nos États peuvent avec sécurité se réserver à eux-mêmes un contrôle salutaire sur les affaires publiques, et un degré de liberté qui, dans les mains de la canaille des villes d’Europe, serait bientôt employé à la destruction des intérêts publics. » (Conseil, Mélanges politiques de Jefferson, t. II, p. 213-220.) — Or les faits observés en 1832 par M. de Tocqueville prouvent que le régime démocratique, en moins d’un demi-siècle, avait déjà corrompu les Américains au point de les rendre incapables de