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mœurs et même le personnel du gouvernement local ; elle a toujours eu à défricher des territoires sans limites ; elle n’a jamais eu à redouter les guerres continentales qui affaiblissent l’Europe, comme elles affaiblirent la Grèce ancienne ; enfin, elle continue à recevoir un immense courant d’émigration alimenté, en proportions croissantes, par les races les plus fécondes et les plus énergiques de l’Europe. Il n’y a donc pas lieu de s’étonner si, pendant le premier tiers de ce siècle, les États-Unis ont vu croître leur prospérité en conservant le pouvoir aux grands hommes qui, après avoir gouverné leur pays sous la suzeraineté du roi, l’avaient émancipé par la force des armes[1].

Mais cette prospérité fut altérée dans sa source à mesure que la mort enlevait les fondateurs de l’indépendance. Elle est visiblement compromise aujourd’hui par une décadence morale dont M. de Tocqueville signalait déjà, vers 1832, les premiers symptômes, et dont les voyages plus récents, ainsi que les faits contemporains, constatent les progrès rapides. Cette décadence est peu sensible encore dans les districts ruraux qui sont restés fidèles à l’ancienne tradition ; elle a déjà acquis des propor-

  1. L’illustre Madison, l’un des fondateurs de l’Union américaine, vivait encore à l’époque où M. de Tocqueville étudiait l’Amérique ; il ne mourut qu’en 1836.