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fiants ceux mêmes dont cette doctrine froissait le plus les idées. Il ne leur parut pas suspect de partialité en proclamant les deux erreurs sur lesquelles repose son système, savoir : l’infériorité des classes dirigeantes de l’Europe, et la supériorité des classes populaires des États-Unis. D’un autre côté, l’auteur ne se montrait pas engoué de la démocratie américaine, et il la critiquait même sévèrement. Les honnêtes gens, qui se rattachaient au passé ou qui restaient indécis entre le bien et le mal (§ 17), prirent peu à peu confiance en sa prédiction ; et depuis lors ils croient à l’avènement fatal du régime américain, signalé comme le type de l’égalité et de la démocratie[1].

  1. « Le développement graduel de l’égalité est un fait providentiel. Il en a les principaux caractères : il est universel, il est durable, il échappe chaque jour à la puissance « humaine ; tous les événements comme tous les hommes ont « servi à son développement. Serait-il sage de croire qu’un mouvement social qui vient de si loin puisse être suspendu par une génération ? Pense-t-on qu’après avoir détruit la féodalité et vaincu les rois, la démocratie reculera devant les « bourgeois et les riches ? S’arrêtera-t-elle maintenant qu’elle est devenue si forte et ses adversaires si faibles ? » (De la Démocratie en Amérique, t. Ier, Avertissement, p. II.) Les Anglais, qui, au xviie siècle, déclaraient leur pays voué à la persistante corruption des Tudors et des Stuarts, raisonnaient plus judicieusement que M. de Tocqueville déclarant en ces termes l’Europe fatalement condamnée à la démocratie. Cependant la prédiction a été démentie, en Angleterre, par la réforme de Georges iii. C’est de nos dévouements que dépend aujourd’hui le même succès.