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muler la pensée[1]. Tel prétendant qui soulèverait de nombreuses oppositions en faisant une profession de foi dans la langue de Descartes, s’assurera de grandes majorités s’il se borne à déclarer qu’il est le candidat de la liberté, du progrès, de l’égalité et de la démocratie.

Cette phraséologie est repoussée par les peuples jouissant des biens qu’expriment ces mots pris dans leur meilleure acception. Elle est un vrai danger pour les peuples privés de ces mêmes biens. Elle endort, en quelque sorte, les esprits dans l’erreur, et elle retarde indéfiniment la réforme. Elle assure à certaines coalitions de partis des succès éphémères ; mais, lorsque arrive le moment des explications, elle soulève des récriminations et des haines qui fournissent de nouveaux éléments à l’antagonisme social. Les considérations exposées ci-après au sujet de ces quatre mots[2] démontreront

  1. L’abus des mots n’est pas nouveau. Xénophon le signalait, il y a vingt-deux siècles, à Athènes, à une époque de corruption qui ressemblait beaucoup à la nôtre. Critiquant les sophistes, il dit : « Je leur reproche que, dans leurs écrits, ils sont à la recherche des mots, tandis que les pensées justes, qui pourraient former les jeunes gens à la vertu, brillent par leur absence. Ce ne sont pas les mots qui instruisent, mais les pensées justes. » (De la Chasse, chap. XIII.)
  2. À ces quatre mots, que je choisis pour limiter mon sujet, j’en pourrais joindre d’autres, dont je signale implicitement dans cet ouvrage le caractère vague et dangereux. Tels sont, par exemple, les mots civilisation, société moderne (§ 14), association (§ 20, n. 3), etc. Je m’assure chaque jour que l’esprit français, soutenu