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sions intestines et les rivalités de leurs voisins du Continent. La décadence matérielle produite en Occident par l’antagonisme actuel des États, n’est pas moins dangereuse pour l’Angleterre elle-même que la décadence morale qui résulterait d’un nouvel affaiblissement des croyances. Il est évident, en effet, que cette décadence stimulerait au détriment de la prospérité générale la redoutable alliance des deux grands empires, la Russie et les États-Unis, qui dominent déjà le nord des deux mondes.

On est frappé de ces considérations à la vue des mesquines contestations que soulèvent encore chez nous les rapports de l’État avec le clergé et la papauté. En présence des maux qui la menacent au dedans comme au dehors, la France devrait secouer les traditions d’un autre âge et se dégager de ces petits embarras. Elle ne saurait mieux faire que de prendre exemple sur la Prusse[1], l’Angleterre[2] et les États-Unis, qui,

  1. Le gouvernement prussien a d’abord commis une grande faute en appliquant, avec des formes tracassières, le concordat de 1821 qui garantit la liberté religieuse aux provinces catholiques du Rhin détachées de la France en 1815 : il n’a alors obtenu d’autre résultat que d’entretenir chez les populations les regrets causés par cette séparation. Mais, depuis lors, il a réparé cette faute et atténué ces regrets ; il a même créé des sympathies utiles à l’exécution de ses projets séculaires en laissant en fait, sauf réserve de tous ses droits, une liberté complète aux catholiques rhénans. Ceux-ci trouvent de grandes satisfactions dans la liberté que leur accorde maintenant la Prusse ; mais ils compteraient plus sur la durée de ce régime, si la France l’appliquait à ses propres croyants. Cette simple extension de la liberté religieuse accroîtrait beaucoup la sécurité des catholiques allemands. Elle rehausserait, dans leur opinion, le prestige de la France beaucoup plus que des actes éclatants qui leur semblent inspirés par un intérêt politique, plutôt que par un dévouement réel au catholicisme.
  2. L’Angleterre conserve plusieurs lois qui restreignent beaucoup la liberté des catholiques romains ; mais elle les abroge peu à peu, depuis 1828. (9, Georg. IV, c. 17.) Elle laisse tomber en désuétude celles qui subsistent, parce qu’elle n’a créé, pour les appliquer, aucune bureaucratie spéciale. Ainsi la bulle de 1851, en vertu de laquelle le pape a rétabli les évêchés catholiques en Angleterre, y a reçu sa complète exécution. La hiérarchie catholique de l’Angleterre viole cependant l’ancienne loi du royaume et la loi spéciale (14 et 15, Vict., c. 60) votée par le Parlement immédiatement après la promulgation de la bulle. Une remarque analogue s’applique aux lois qui interdisent le séjour de l’Angleterre aux membres de la Compagnie de Jésus. L’esprit nouveau qui règne chez les Anglais se révèle mieux encore dans la loi votée, le 31 mai 1869, par la chambre des communes à la majorité de 311 voix sur 508 votants. Aux termes de cette loi, l’Église catholique est mise, en Irlande, sur un pied d’égalité avec les deux Églises établies d’Angleterre et d’Écosse et avec les cultes dissidents.