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ment, il s’est trouvé détruit dans la plupart des anciens ateliers ; et maintenant, dans ces ateliers comme dans les nouvelles créations, les patrons et les ouvriers ne s’inspirent guère que de l’esprit d’antagonisme. Mais ni les uns ni les autres n’ont eu à se féliciter des changements apportés à la Coutume par les mœurs et les institutions.

La décadence de nos mœurs est, au surplus, parfaitement caractérisée par le contraste qui existe entre les discordes civiles de l’ancien et du nouveau régime. Autrefois le patron allait au combat entouré de ses ouvriers et de ses serviteurs : aujourd’hui il les trouve tous groupés dans le camp ennemi.

    J’en ai vu d’autres où la coterie électorale qui dispose de l’autorité exclut systématiquement les hommes les plus considérés. J’ai même connu une commune rurale où un grand propriétaire, considéré comme le bienfaiteur du pays, n’a jamais pu, à son grand regret, se faire admettre dans le conseil, composé de petits propriétaires, d’artisans et de cabaretiers. Aux reproches qui leur étaient adressés, et à l’éloge de la personne exclue, ceux-ci répondaient : « Oh ! Monsieur, vous avez bien raison : M. le duc est la perle des hommes et le patron du pays ; nous le chérissons tous ; mais nous ne voulons pas de bourgeois parmi nous ! » Ceux qui réorganiseraient le gouvernement local (§ 68) sans tenir compte de cette décadence des mœurs nous exposeraient à des mécomptes qu’il faut éviter. Ces mécomptes engendreraient une fois de plus le découragement ; car depuis deux siècles nous sommes dressés à supporter les abus de la contrainte, plutôt que les abus de la liberté (§ 8). La France a perdu, avec le Décalogue, la Coutume et la famille-souche, le frein qui tempérait les inconvénients des deux régimes.