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curieux des aberrations que suscite le mépris de la Coutume. La préoccupation dominante des novateurs est de supprimer la fonction sociale des patrons et de fonder les ateliers sur le principe d’association, c’est-à-dire sur des communautés formées par les ouvriers mêmes qui exécutent les travaux manuels. On ne saurait trop admirer les efforts de talent et de vertu à l’aide desquels on est parvenu à fonder, sur ce principe, un petit nombre d’ateliers prospères. Mais ces établissements exceptionnels ne jouent aucun rôle appréciable parmi les ateliers européens. Rien n’indique qu’il en doive être autrement à l’avenir[1].

  1. J’ai justifié ailleurs cette conclusion (Réforme sociale, t. II, p. 209 à 306). En cette matière, au surplus, on peut résumer en peu de mots l’enseignement fourni par l’expérience. Les communautés d’ouvriers, très-fréquentes autrefois, ne se retrouvent guère aujourd’hui que dans la région orientale : elles disparaissent à mesure que les peuples deviennent plus libres et plus prospères, et elles sont remplacées par des régimes fondés sur l’initiative individuelle. Les communautés créées à titre d’essai dans l’Occident depuis 1848, ont en général échoué par trois causes principales. Les ouvriers n’ont guère obéi aux pouvoirs qu’ils avaient constitués. Ils ont choisi des chefs peu capables, ou ils ont mal rétribué ceux qui étaient à la hauteur de leur fonction. Enfin ils ont partagé prématurément les profits, et ils n’ont pu constituer ces puissants ateliers qui grandissent par l’épargne de patrons dévoués au bien-être de leurs descendants. Quant aux rares communautés qui ont réussi à se constituer, elles resteront toujours, dans une société libre, à l’état d’exception. Elles ne conviennent, en effet, ni aux masses dépourvues des qualités morales nécessaires à toute action collective,