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momentanément troubler la paix de l’Europe ; mais plus les peuples auront à souffrir des maux de la guerre, et plus ils sentiront le besoin de rétablir, dans leurs relations mutuelles comme dans les rapports sociaux de chaque nation, la pratique de l’ordre moral. La France, depuis le règne de Louis XIV, a souvent donné, à ces deux points de vue, l’exemple du mal ; mais, malgré ses erreurs et sa décadence partielle, elle est restée encore plus capable que ses principaux émules de reprendre l’initiative du bien. Elle n’a point complètement perdu la vertu sociale par excellence, signalée par Voltaire à l’un de ses augustes correspondants[1], celle qui la porta souvent à s’intéresser, sans arrière-pensée égoïste, à la prospérité des autres. Puisse-t-elle renoncer à l’esprit de conquête et aux autres idées fausses qui l’ont souvent égarée depuis deux siècles ! Puisse-t-elle reconquérir son ascendant moral du XVIIe siècle, en reprenant les grandes tradi-

  1. Voltaire, s’adressant le 9 mars 1747 à Frédéric II, et exprimant le regret qu’il ne vînt pas visiter la France, écrivait : « Vous auriez vu l’effet que produit un mérite unique sur un peuple sensible ; vous auriez senti toute la douceur d’être chéri d’une nation qui, avec tous ses défauts, est peut-être dans l’univers la seule dispensatrice de la gloire. Les Anglais ne louent que des Anglais ; les Italiens ne sont rien ; les Espagnols n’ont plus guère de héros. Vous savez, Sire, que je n’ai pas de prévention pour ma patrie ; mais j’ose assurer qu’elle est la seule qui élève des monuments à la gloire des grands hommes qui ne sont pas nés dans son sein. »