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ont eu leurs épreuves, leurs triomphes, en un mot, leur histoire. C’est là, sur cette place, sous cet ormeau (lo Hoom d’Aucun), devant ce porche d’église, que les pères se réunissaient et délibéraient sur leurs fors. Au besoin, ils tenaient tête au seigneur, et lui arrachaient la reconnaissance de leurs droits. Aussi ces fors, conquis, défendus et transmis par les anciens, formaient-ils le patrimoine commun, que tous s’efforçaient de maintenir avec un soin jaloux et presque religieux. C’était la personnalité vivante de la commune.

Aujourd’hui ces villages sont absorbés par la centralisation, et ressentent tous au même moment la même pulsation bureaucratique. Noyés dans le courant de la grande vie nationale, ils ont perdu, pour ainsi dire, toute vie propre et tout relief. Le voyageur qui parcourt leurs rues et leurs places, où s’étale en maître le cabaret, a peine à se retracer les luttes, les émotions publiques et la grandeur passée de ces petits États[1].

  1. C’est une réflexion analogue qu’inspire à M. Lallier, président du tribunal civil de Sens, l’examen de la constitution actuelle de Vevey, commune du canton de Vaud : « Ces bourgeois de Vevey, fidèles à leurs traditions séculaires, maîtres de leurs personnes et de tours biens, dictant eux-mêmes la charte de leur commune, ne vous semblent-ils pas faire une autre figure que nos conseils municipaux sans passé, sans avenir, qui naissent, comme ils meurent, d’un caprice populaire, et qui, dans leur courte existence, ne peuvent se mouvoir sans être bridés de toutes