Page:Le Petit - Les Œuvres libertines, éd. Lachèvre, 1918.djvu/125

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

m’adresser à un Seigneur plus qualifié. Mais puis que Dieu a voulu que mon Heure du Berger se rencontrât avec l’Heure de sa Mort, je crois que vous le voudrez bien aussi. Il ne vous sera pas bien difficile de vous consoler de cette perte, car c’est autant de peine épargnée pour vous ; il n’y a que moy misérable qui en ay dans l’aisle, et qui en tiens pour mon compte : car outre la peine d’avoir travaillé pour le Turc, outre la douleur d’avoir vu mourir mon Mécène à la veille de son Immortalité, et de me voir haut et puissant Seigneur, ay encore le desplaisir d’estre si enrumé que j’aurois toutes les peines du monde à me faire entendre, si l’on parloit à la fin des Lettres quand on dit : Je suis vostre très-humble et très-affectionné Serviteur.

C. Le Petit.



PREFACE TELLE QUELLE,

ET AUSSI ENNUIEUSE QUE LONGUE TOUT AU MOINS.

J’avois fait mon Livre assez bien, je l’avois fait décrire assez mal ; je l’avois donné au Libraire assez généreusement ; dédié à un gros Milour assez avantageusement ; corrigé chez l’Imprimeur assez exactement, et prié mesme assez instamment quelques-uns de mes amis de faire des Vers à ma loüange (plus par coustume que vaine gloire toutesfois) afin d’alonger le papier, et de rendre le Volume plus considérable. Enfin j’avois fait sans reproche ponctuellement toutes les fonctions de ma nouvelle Charge d’Autheur. Je croyois que ce fut une affaire faite que celle-là ; toutes les fois qu’on heurtoit à ma Porte, je m’imaginois que c’estoit Robinot qui m’apportoit mes trois douzaines d’exemplaires, etc. (comme il est plus amplement porté dans l’accord fait entre nous) et je n’attendois plus qu’après luy et mon habit neuf pour aller faire en bonne conche mes presens à mon Mecène Généreux : Mais helas ! qu’il est bien vray que l’Homme propose et que Dieu dispose, et qu’on n’est pas au bout de ses maux quand on achève de faire un troisième Livre, et qu’on n’a pas encore commencé à faire la Preface du second. Ha Ciel ! qu’un honneste homme a de mal en ce monde pour gaigner sa chienne de vie ; que le mestier de l’Escritoire est un mestier incommode, et que c’en est un agréable de vivre de ses rentes. Mais j’ay beau pindariser ; j’ay beau crier ô Temps ! ô Siècle ! ô Mœurs ! ou plustost ô Libraire, ô Typographe ! ô Lecteur ! Point de nouvelles, c’est Philosophie perdue, c’est Morale inutile. Autant eu emporte le vent, ils ont des yeux et ne voyent goutte, ils ont des oreilles et ne m’entendent point ; il faut avaler ce Calice, et, bon gré mal gré que j’en aye, faire une corvée, je veux dire une Preface. Mais quoy ? n’y a-t-il pas moyen de s’accommoder ensemble, suis-je jugé Prevotablement ? Ne puis-je appeller de cette Sen-