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Artémus Ward employait souvent ce moyen ; puis, quand l’auditoire, d’abord surpris, saisissait la plaisanterie, il le regardait avec un étonnement ingénu, en ayant l’air de ne pas comprendre pourquoi il riait. Dans Setchell usait du même procédé avant lui ; c’est aussi celui de Nye et de Kiley aujourd’hui.

Le narrateur d’histoires comiques, au contraire, ne passe pas sous silence le trait saillant ; il vous le crie à haute voix et l’annonce chaque fois : quand il le publie, en Angleterre, en France, en Allemagne et en Italie, il le fait imprimer en italique, avec des points d’exclamation bien ronflants ; quelquefois même il l’explique entre parenthèses. Tout cela humilie le lecteur, lui ôte l’envie de plaisanter et l’engage à plus de sérieux.

Aligner des incongruités et des absurdités, sans avoir l’air de s’en douter et sans paraître les croire telles : voilà la base de l’art américain, si je puis m’exprimer ainsi. Glisser sur le point saillant, en est une autre caractéristique. La troisième consiste à insérer une remarque préparée, en feignant de ne pas la comprendre, comme si l’on pensait tout haut. La quatrième et dernière est la pause.

Artémus Ward préconisait beaucoup les deux dernières méthodes. Il commençait à raconter avec beaucoup d’animation un fait qui lui paraissait merveilleux, puis perdant de son entrain, après une pause où son esprit semblait rêver, il finissait par une remarque incongrue sous forme de monologue. C’était la pointe destinée à faire exploser la mine ; et cela réussissait.

Il disait, par exemple, en y mettant de la chaleur, de la passion : « J’ai connu autrefois un homme de la Nouvelle-Zélande qui n’avait pas une dent… » puis son animation tombait ; suivait une pause, un silence ; enfin il ajoutait comme sortant d’un rêve et se parlant à lui-même : « Et malgré cela cet homme pouvait battre le tambour mieux que personne. »

La pause est une partie extrêmement importante du récit ; c’est un procédé auquel il faut recourir souvent. C’est un procédé délicat et élégant, mais aussi traître et difficile à appliquer, car la pause doit avoir la longueur voulue, — ni plus ni moins qu’il ne faut, — ou bien l’effet est manqué, et elle devient une cause d’embarras.

Si la pause est trop courte, la saillie passe ina-