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Qu’il est vieux, l’épagneul ! mais quel faisceau d’années
De plus que lui son maître a lié triomphant !
Pourtant cet homme antique, aux tempes basanées,
Près du chêne aux cent bras n’a qu’un âge d’enfant…

Le vieux chien fatigué, dans un avenir proche,
Ira, sous le taillis, se cacher pour mourir
Et ses os blanchiront à l’angle d’une roche,
Au pied des jeunes plants qui doivent s’en nourrir ;
Dans les vaisseaux ligneux, sa poussière impalpable,
En séve transformée, à flots circulera,
Et des lents bûcherons nul ne sera capable
De deviner quel sang alors y coulera…

Le vieil homme, lassé d’une trop longue route,
Assombri par les deuils et pressé d’arriver,
Au terme parvenu dans quelques jours sans doute,
Détachera la chaîne où Dieu l’a su river…
Il tombera des pleurs avec une prière
Sur la tombe où ses fils l’auront enseveli…
Puis la ronce et l’ortie envahiront la pierre…
Ce sera l’abandon, le silence et l’oubli !

Le vieil arbre, peut-être à ses couches énormes,
Longtemps ajoutera d’autres couches encor,
Monument animé, colosse aux vertes formes,
D’un théâtre imposant majestueux décor…
D’autres vains tourbillons de notre armée humaine
Passeront devant lui pour ne plus revenir…