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JEAN AICARD.

Cherchent encor, toujours ce qui reste du blé.
Là, point de hâte ; il faut, d’une marche attentive,
Distinguer une glane, hélas ! souvent chétive
Dans le chaume qui semble à leurs fiévreux regards
Fait de mille rayons plantés comme des dards.
Ainsi de tous côtés le jour aigu les blesse ;
Leurs genoux par moments fléchissent de faiblesse,
Le sol sous elles tourne, et pendant qu’elles vont,
Les pieds ensanglantés et la sueur au front,
La fièvre, profitant de leur lenteur, pénètre,
Mêlée à la lumière intense, tout leur être.
Or chacune, songeant à son prochain retour
Vers la cabane où pleure un enfant tout le jour,
À chaque épi nouveau que sa voisine envie,
Chacune, en se courbant, croit ramasser la vie…
Hélas ! elle se penche aussi du même effort
Vers l’invisible fleur d’où s’exhale la mort.

On a vu quelquefois une glaneuse, blême,
Tremblante, s’affaisser soudain sur elle-même.
Dans un vol de ramiers guetté du chasseur, tel
Tout à coup l’un d’eux tombe atteint du plomb mortel.
Quand un brouillard malsain couvre cette campagne,
Vers le soir, on a vu, sans pleurer leur compagne,
Des glaneuses chercher dans l’humide terrain
Une place propice où, sous un tamarin,
Pût reposer le corps de la morte si frêle !
…Un bouvier creuse un trou juste assez grand pour elle ;
Et le trou recouvert, chacun y jette après