Page:Le Parnasse contemporain, III.djvu/253

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Se glissait, rejeton furtif, comme attiré
Par quelque aimant puissant, hors de l’enclos sacré.

On vit alors, — touchant et gracieux prodige ! —
D’un essor obstiné s’allonger cette tige
Qui tentait les hasards d’un voyage lointain.
Qu’il fît soleil ou vent, qu’il fît soir ou matin,
Elle allait devant elle à travers bois et plaines,
S’enroulait aux buissons, s’abritait sous les chênes,
Contournait les cités, les bourgs et les hameaux,
Aux arches des vieux ponts suspendait ses rameaux,
Ou, dans le fleuve, ainsi qu’une couleuvre vive,
Plongeait, mais pour surgir bientôt à l’autre rive.
De pays en pays, du levant au couchant,
Jour par jour, mois par mois, du but se rapprochant,
Et toujours en péril, et toujours épargnée,
Elle rampait, fuyant le soc et la cognée ;
Elle franchissait parcs, monastères, châteaux,
S’enfonçait aux ravins, gravissait les coteaux,
Nouait, d’un lent travail, jusqu’aux plus âpres cimes,
Sa liane flexible au penchant des abîmes,
Tenace, quand l’obstacle imprévu se dressait ;
Et toujours, reprenant sa marche, elle avançait,
Robuste sur le roc, vivace dans le sable :
Le mort lui fournissait la séve intarissable.
Mais la feuille gardait ses plus ternes couleurs,
Et jamais nul rameau n’avait poussé de fleurs :
Jusqu’au jour où, touchant à la tombe jumelle,
Elle en pressa le marbre impatient comme elle ;