Page:Le Parnasse contemporain, III.djvu/191

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.



LE PRISONNIER

A G., peintre.


Là-bas, les muezzins ont cessé leurs clameurs,
Car le ciel au couchant de pourpre et d’or se frange ;
Les crocodiles lourds s’enfoncent dans la fange
Et le grand fleuve endort ses dernières rumeurs.

Les deux jambes en croix, comme il sied aux fumeurs,
Le chef rêvait, bercé par le haschich étrange,
Tandis qu’avec effort faisant mouvoir la cange
Deux nègres se courbaient sur le banc des rameurs.

A l’arrière, joyeux et l’insulte à la bouche,
Grattant l’aigre guzla sur un rhythme farouche,
Se penchait un Arnaute à l’œil féroce et vil ;

Car lié sur la barque et saignant sous l’entrave,
Un vieux Cheik regardait d’un air stupide et grave
Les minarets pointus qui tremblaient dans le Nil.