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Mais ta chevelure est une rivière tiède,
Où noyer sans frissons l’âme qui nous obsède
Et trouver ce Néant que tu ne connais pas.

Je goûterai le fard pleuré par tes paupières
Pour voir s’il sait donner au cœur que tu frappas
L’insensibilité de l’azur et des pierres.


STÉPHANE MALLARMÉ




DEVANT LA MÉLENCOLIA D’ALBERT DURER


La Mélencolia se tient sur une pierre,
Le visage en sa main, cependant que le soir,
Triste, comme elle, étend son ombre sur la terre
Et qu’au loin le soleil s’éteint dans un ciel noir.

Que bâtit-on près d’elle ? Est-ce un grand monastère
Pour une foi qui meurt, ou bien quelque manoir
Dont les canons un jour feront de la poussière ?
— Le soleil, lentement, s’éteint dans le ciel noir. —

La Mélencolia, songeant à ce mystère,
Qui fait que tout ici s’en retourne au néant,
Et qu’il n’est nulle part de ferme monument,

Et que partout nos pieds heurtent un cimetière
Se dit : Oh ! puisque tout se doit anéantir,
Que sert donc de créer sans fin et de bâtir ?…


H. CAZALIS