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Bien des fois j’ai rêvé des charmes que dérobe
Sa pruderie à l’œil du jour ;
J’ai maudit bien des fois son corset et sa robe,
Ces deux guichetiers de l’amour ;

L’anneau qu’on porte au doigt n’éveille point d’alarmes,
Pour lui nul temple n’est fermé,
Il peut voir, à toute heure et sans voile, les charmes
Qu’on cache à l’œil du bien-aimé ;

Soit que la vierge, aux pieds de sa couche, abandonne
Son long vêtement desserré ;
Soit que dans le bain d’ambre elle joue et frissonne
Comme un beau cygne énamouré ;

Soit qu’au premier baiser que l’aube épand sur elle,
Entr’ouvrant ses cils demi-clos,
Elle se lève, aussi nonchalante, aussi belle
Qu’Aphrodite sortant des flots…

Dans ces heures d’extase, anneau pris de délire,
Brisant ma forme d’un moment,
Je reprendrais mon corps et ma voix pour lui dire :
« Aimons-nous : je suis ton amant ! »

Mais où s’égare, hélas ! ma pensée en détresse ?…
Pars, anneau, gage de ma foi,
Et va dire tout bas à ma belle maîtresse :
« Il languit, il meurt loin de toi ! »


FRANCIS TESSON.