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» Ma première jeunesse était mésalliée,
Et j’ai dû vivre ainsi qu’une fleur repliée… —
Je crois, en vérité, que dix-neuf fois sur vingt,
Faire choix d’un mari dans un siècle de prose,
C’est vouloir essayer d’un piètre virtuose
Dont le doigt lourd profane un instrument divin.

» Aussi facilement qu’un chapitre d’histoire,
Son image aux deux tiers s’en va de ma mémoire :
C’est une vague estompe, un pastel affaibli ;
Et je retrouve à peine au fond de ma pensée
Un relief indécis de médaille effacée,
Un profil incertain qui se perd dans l’oubli.

» Sa demeure dernière est au Père-Lachaise,
Sous le sable peigné d’un parterre à l’anglaise.
J’y fais planter des fleurs des pays inconnus.
L’hiver comme l’été son boulingrin verdoie.
Le sophora pleureur du Japon s’y déploie…
Enfin, c’est un des morts les mieux entretenus.


II


» Du vêtement lugubre où j’étais enfermée,
Par un rayon d’avril je sors toute charmée :
Je romps ma chrysalide aux souffles du printemps.
J’ai le sang plus léger que du sang d’hirondelle.
J’aimerais à pouvoir m’envoler d’un coup d’aile
Dans l’éther bleu… Mon âme a la couleur du temps.

» Mes robes de satin, de soie et de barége
Ont l’aspect de brouillards, de tourbillons de neige :
Le tissu, merveilleux de richesse et d’ampleur,
Les tulles bouillonnés et les flots de malines
Donnent un vrai lyrisme aux grâces féminines :
La femme est à la fois papillon, femme et fleur.