Page:Le Parnasse contemporain, I.djvu/108

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Les piliers sont rompus, et, pêle-mêle, en foule,
Taureaux, serpents, fumiers, soulevés par la houle,
Débouchent en formant de monstrueux îlots.
Alcide les reçoit debout parmi les flots ;
Bientôt l’eau sans effort lèche les noirs pavés
Et les laisse en passant derrière elle lavés.

Alors comme un vainqueur dans la ville en alarmes
Court annoncer la paix, tout en sang sous les armes,
Il ne secoua pas sa fange, et sans délais
Suivi du peuple en fête alla droit au palais.
Ses cheveux dégouttaient sur son front et ses joues,
Et dans sa joie, Alcide enveloppé de boues
Ressemblait, non moins beau mais plus terrible encor,
A l’ébauche d’un dieu de marbre noir et d’or.
Il parut ; la hauteur de ses regards farouches
Déconcerta le rire éveillé sur les bouches,
Car les fils d’Augias, de sa gloire envieux,
Raillant son front souillé, rencontrèrent ses yeux,
Et le regard suffit au châtiment du rire.
— « Tu seras, dit le roi, célébré par la lyre. »
Le sublime ouvrier lui demanda son prix,
Trois cents bœufs. Augias, d’un air simple et surpris :
— « Je n’en dois pas trois cents. » — « Par les dieux je l’atteste ! »
— « De mes trois mille bœufs c’est plus qu’il ne me reste. »
— « L’injustice m’émeut plus que la perte, ô roi ! »
— « Ce que tu viens de faire était un jeu pour toi. »
— « Un jeu ! dispute-moi mon lucre et non ma gloire !
— « Qu’avais-je donc promis ? » — « Si j’ai bonne mémoire,
« Un dixième des bœufs. » — « Mais lesquels ? » — « Ceux d’alors. »
— « Ceux d’aujourd’hui.» — « Tu mens ! » — «Paye-toi sur les morts ! »