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La peste ! Et la campagne était lugubre à voir ;
Plus de sillons, partout le gazon sec et noir
Sous un rayonnement qui semblait immobile.
Les pâtres ayant fui vers l’ombre de la ville,
On voyait çà et là des bœufs maigres errer.
Apollon cependant, glorieux d’éclairer,
Mais l’âme indifférente aux choses qu’il éclaire,
Dardait ses longs traits d’or sans bonté ni colère.

Le roi, dans son palais enfermé tout le jour,
Laissait gronder le peuple et s’étourdir la cour,
Et, pendant que ses fils, beaux et fiers de leur âge,
Présomptueux, traitant la mort avec outrage,
Se gorgeaient à grand bruit de viande et de boisson
Et dévoraient d’un coup la dernière moisson,
Inutile témoin du mal qui l’environne,
Il pesait tristement ses trésors, la couronne
Qui ne conserve pas ce qu’un fléau détruit,
Et l’or qui n’est plus rien quand la terre est sans fruit.
Ainsi se lamentait sa vieillesse frustrée.
Quand il apprit qu’Alcide explorait la contrée.
Il l’envoya quérir et lui dit son malheur :
« Vois les maux que nous font la peste et la chaleur,
» Le soc abandonné par des mains misérables,
» L’air infect et la mort. Lave donc mes étables,
» Et je t’offre une part de mon bien le plus cher,
» Un dixième des bœufs. » Le fils de Jupiter,
Trois fois grand par le cœur, la force et la stature,
Sourit au seul penser d’une utile aventure ;
Mais comme il voyait là les nombreux fils du roi :
« Le péril tout entier ne sera pas pour moi,
» Je n’ai droit qu’à mon lot, jeunes gens, et m’étonne
» Que le reste n’en soit réclamé de personne. »